La journée des précisions supplémentaires

J’écrivais le 7 décembre dans La Saint–Nicolas des emprunteurs subprime, à propos du « Plan Paulson » :

« Les investisseurs auraient bien sûr tout à perdre d’une situation se détériorant encore davantage mais ils soulignaient que dans les tentatives passées de venir en aide aux consommateurs au bord de la saisie, 40 % d’entre eux finissaient par déchoir de toute manière après une longue agonie – coûteuse pour les investisseurs. Seuls les plus gros d’entre eux bien sûr furent entendus et on pouvait déjà s’attendre à ce que certains des autres ne résisteraient pas à la tentation d’entamer des poursuites judiciaires contre les organismes de prêt, l’accord négocié par Paulson ayant bien précisé qu’il n’immunisait pas ceux–ci sur le plan légal. »

Autre aspect sur lequel nul ne voulait s’appesantir mais qui serait l’une des conséquences du nouveau plan : l’éventualité d’interventions du même type à l’avenir rend le rendement futur des Asset–Backed Securities complètement imprévisible, remettant en question la viabilité–même de l’instrument financier. Aujourd’hui, Greenspan attire l’attention sur cet aspect de la question. Il affirme dans un entretien avec le Wall Street Journal : « Imaginons que je sois un organisme de prêt hypothécaire et que j’apprenne que mes contrats avec les emprunteurs peuvent être abrogés pour des raisons politiques, il me paraîtra indispensable d’augmenter le montant de la prime que j’exige pour contrebalancer ce risque. Chaque fois que l’on sape ainsi le droit contractuel, les effets s’en font sentir sur les primes de risque futures ». Que recommande–t–il à la place ? Attachez vos ceintures, c’est un « libertarien » qui parle, un partisan de l’« État–veilleur–de nuit » : « Ce que nous évoquons, c’est une aide d’urgence, semblable aux initiatives gouvernementales en cas de catastrophe naturelle » et, ajoute–t–il : « Il est beaucoup moins dangereux pour l’économie et bien plus simple, et sans conséquences à long terme pour les marchés, d’offrir aux propriétaires des sommes en argent liquide ».

J’écrivais le 8 novembre dans Où l’on devine la partie immergée de l’iceberg :

« Depuis plusieurs jours la presse s’amuse à comparer la capitalisation des compagnies d’assurance qui couvrent le risque de défaut de diverses obligations – capitalisation parfois très faible, comme dans le cas d’ACA : 95 millions de dollars – avec la somme de 2,5 mille milliards de dollars que représente ce marché aujourd’hui fragilisé ».

On n’en resterait malheureusement pas là : Standard & Poor’s rétrogradait la firme aujourd’hui, abaissant sa notation de « A » à « CCC ». Le New York Times rapportait ce matin que sont en ce moment réunis en conseil de guerre des représentants de Merrill Lynch, Bear Stearns et d’autres établissements sur la place de Wall Street, afin de se porter caution collectivement pour ACA Capital Holdings, la firme mère d’ACA Financials dont je parlais le 8 novembre, firme qui garantit des obligations pour un montant de 26 milliards de dollars. Ces banques courent donc colmater cette brèche supplémentaires tout en sachant que, devrait–il y en avoir bien davantage, elles ne pourraient les colmater toutes.

Enfin, j’écrivais le 23 mai dans La symbiose Chine – États-Unis. Nouvelles du front :

« Il y a deux ans, le gouvernement chinois avait tenté d’acquérir par l’entremise de la société d’état Cnooc, la firme pétrolière américaine Unocal, provoquant une levée de boucliers. Les États-Unis avaient invoqué leurs intérêts stratégiques et l’affaire ne s’était pas faite. On a annoncé hier une prise de participation du gouvernement chinois d’un montant de 3 milliards de dollars dans la « private–equity » Blackstone, une de ces sociétés de placement qui achètent des compagnies battant de l’aile, les rabibochent et les revendent au prix fort, autrement dit, le type même d’entreprise financière qui bénéficie en ce moment des taux d’intérêt bas que la Chine contribue à maintenir en achetant à tire–larigot des bons du Trésor américains. La participation chinoise équivaut à 9,7 % de la capitalisation de la firme, juste au–dessous des 10 % fatidiques qui exigeraient une ratification du gouvernement américain ; la Chine renonce également à réclamer un ou plusieurs sièges au conseil de direction ».

Il faudra y ajouter la participation à hauteur d’un milliard de dollars, soit 6 % de son capital, prise par Citic Securities, une banque contrôlée par le gouvernement chinois, dans Bear Stearns en octobre. On apprenait encore ce matin que pour parer à des pertes de 3,6 milliards de dollars essuyées au cours du quatrième trimestre, résultant de charges se montant à 9,4 milliards de dollars liées à des investissements malheureux dans des prêts hypothécaires subprime, Morgan Stanley, la deuxième banque d’investissement américaine après Goldman Sachs, avait accepté une prise de participation se montant à 5 milliards de dollars, soit 9,9 % de son capital, par le fonds souverain chinois Compagnie Chinoise d’Investissement, le même qui avait déjà investi 3 milliards de dollars dans Blackstone le 22 mai.

L’annonce intervient dans le contexte de l’investissement récent de 7,5 milliards de dollars dans CitiGroup, la deuxième banque commerciale américaine, par un fonds souverain d’Abou Dhabi et des 9,2 milliards de dollars investis par Singapour dans l’Union de Banques Suisses. La plupart de ces participations ne sont pas de type courant, les conditions d’allocation étant le plus souvent très favorables aux participants et trahissant du coup une réelle détresse chez les bénéficiaires. Il s’agit bien sûr jusqu’ici de participations qui restent en–dessous du « seuil de visibilité » des 10 % et ne sont pas automatiquement accompagnées de l’obtention de sièges au conseil d’administration de ces établissements financiers, mais des charges de montants équivalents seront sans aucun doute comptabilisées en 2008, voire en 2009. Une question se posera alors sur le plan stratégique : quelle sera la participation maximale tolérable de la Chine et de ces autres nations dans les principales banques commerciales et d’investissement américaines ? La question sera douloureuse car l’argent frais sera indispensable pour maintenir la solvabilité de certaines d’entre elles, parmi les toutes premières.

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4 réponses à “La journée des précisions supplémentaires”

  1. Avatar de Sébastien ROBERT
    Sébastien ROBERT

    Dans les années 80 l’Amérique vivait déjà au-dessus de ses moyens et à fini par ne plus supporter d’être financée par un ami à savoir le Japon. Aujourd’hui ellle est financée par des ennemis avérés ou potentiels comme la Chine, la Russie ou certains pays musulmans. Je doute que cela puisse durer et qu’il s’agisse d’un deal win-win. Quelle est votre avis sur l’issue de cette situation ?
    Merci

  2. Avatar de Malakine

    Tout ceci est très troublant. On annonce depuis des mois l’effondrement de l’empire américain (je n’ai pas fini de lire votre livre), mais on se rend compte que la dette des Etats-Unis se convertit pour alimenter sa propre économie. Jusqu’ici le déficit commercial avait mis le dollar dans les mains de la Chine. Maintenant, il est en train de mettre les entreprises financières américaines dans les mains des fonds souverains. Jusqu’ou cela durera-t-il ? Quel est le scénario de l’ajustement ?

    Plus ça va, plus je me dis que ce système fonctionnera jusqu’à tant que la Chine décide de déclarer les hostilités avec les Etats-Unis pour prendre leur place comme centre du capitalisme mondial.

  3. Avatar de JLS
    JLS

    Les Etats-Unis dépendent de la chine pour le financement de la Dette Américaine.
    Mais les chinois dépendent des Etats-Unis pour les marchés à l’exportation.
    Les chinois auront moins besoin des Etats-Unis le jour ou ils exporteront plus vers l’Europe que vers les Etats-Unis.

  4. […] J’écrivais le 20 décembre dernier dans La journée des précisions supplémentaires : L’annonce (d’une prise de participation d’un montant d’un milliard de dollars par Citic Securities, une banque contrôlée par le gouvernement chinois, dans Bear Stearns) intervient dans le contexte de l’investissement récent de 7,5 milliards de dollars dans CitiGroup, la deuxième banque commerciale américaine, par un fonds souverain d’Abou Dhabi et des 9,2 milliards de dollars investis par Singapour dans l’Union de Banques Suisses. La plupart de ces participations ne sont pas de type courant, les conditions d’allocation étant le plus souvent très favorables aux participants et trahissant du coup une réelle détresse chez les bénéficiaires. Il s’agit bien sûr jusqu’ici de participations qui restent en–dessous du « seuil de visibilité » des 10 % et ne sont pas automatiquement accompagnées de l’obtention de sièges au conseil d’administration de ces établissements financiers, mais des charges de montants équivalents seront sans aucun doute comptabilisées en 2008, voire en 2009. Une question se posera alors sur le plan stratégique : quelle sera la participation maximale tolérable de la Chine et de ces autres nations dans les principales banques commerciales et d’investissement américaines ? La question sera douloureuse car l’argent frais sera indispensable pour maintenir la solvabilité de certaines d’entre elles, parmi les toutes premières. […]

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