Ce que les contribuables aiment s’entendre dire

L’attitude du gouvernement travailliste dans l’affaire du sauvetage de Northern Rock (voir Northern Rock : le retour de l’Etat) est intéressante pour ce qu’elle augure de la manière dont la crise financière sera gérée en Grande–Bretagne. Gordon Brown, le premier ministre, a semblé dire : « Oui, Londres est bien aujourd’hui la capitale financière du monde. Non, cela ne signifie pas que le capitalisme fonctionne sans anicroche. Qu’on ne se voile pas la face : en cas de pépin l’Etat sera toujours appelé à reprendre les rênes. Jusqu’à ce que les choses s’arrangent bien sûr et qu’on redonne carte blanche aux pirates… pour un tour ! »

Henry Paulson, le ministre américain des finances ne l’entend pas de cette oreille, il a déclaré hier qu’il n’y aurait pas aux États–Unis de solution gouvernementale à la crise. Il fait les gros yeux aux entreprises et leur dit : « C’est vous qui nous avez mis dans ce pétrin et c’est vous qui nous en sortirez ! L’État ne vous viendra pas en aide : vous vous êtes gorgées au temps des vaches grasses, régurgitez maintenant ! »

Quand on explique les bénéfices de la titrisation des prêts hypothécaires américains, « prime » aussi bien que « subprime » – c’est–à–dire le fait de les reconditionner, plusieurs milliers à la fois, sous une forme qui mime celle d’une obligation classique –, on a l’habitude de dire que cette titrisation permet de 1) réduire le taux d’intérêt dont doivent s’acquitter les emprunteurs, 2) assurer un marché liquide à ce type de prêts. Sur le premier point, Wayne Passmore, un collaborateur d’Alan Greenspan à la Fed, a mis en évidence que l’économie due à la titrisation bénéficie en réalité à 82 % aux actionnaires et aux dirigeants des firmes prêteuses, et à concurrence seulement des 18 % restants, aux emprunteurs. Quant au deuxième point, assurer un marché liquide : très bien, mais dans quel but précis ?

Les bénéfices de la titrisation sont en réalité ailleurs : elle minimise l’impact fiscal, minimise les réserves obligatoires des banques – permettant aux sommes ainsi libérées d’être placées de manière lucrative –, elle maximise enfin le chiffre des recettes sur la feuille de bilan. Un impact fiscal moindre et des réserves obligatoires moins élevées accroissent la marge bénéficiaire des entreprises ; quant aux recettes en hausse, elles font grimper le prix de l’action. La partie du profit qui n’est pas réinjectée dans la firme ou dans le rachat par celle–ci de ses propres actions (ce qui fait monter leur prix) est distribuée aux actionnaires sous forme de dividendes et aux dirigeants de la firme sous forme de salaires élevés, de primes et de privilèges. Le prix de l’action en hausse bénéficie aux actionnaires en tant que plus–value et aux dirigeants des entreprises par le biais des stock options qui leur sont accordées.

Dividendes et plus–value des actions s’égaillent dans la nature. De même pour les salaires élevés, primes et privilèges des dirigeants. Qu’est–ce qui reste alors à régurgiter par une entreprise quand vient le temps des vaches maigres ? Sa croissance sans doute, lorsque celle–ci a eu lieu : ses placements en dur comme l’immeuble de son siège social ou le salaire des employés qu’on s’apprête à licencier. Mais quid des situations – je ne citerai pas de noms, par reconnaissance pour ceux qui m’ont fait vivre – où quasiment tout est passé en salaires élevés, primes et privilèges ?

Je suis sûr que le contribuable préfère de loin entendre le discours d’Henry Paulson plutôt que celui de Gordon Brown. Je suis tout aussi certain que si j’avais de l’argent à placer je préfèrerais le voir en livres sterling plutôt qu’en dollars américains. Ne me demandez pas pourquoi : juste un sentiment intuitif !

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