L’actualité de la crise : Un plan qui fait de nécessité vertu, par François Leclerc

Billet invité.

UN PLAN QUI FAIT DE NECESSITE VERTU

Apprécier un plan qui n’a pas encore été dévoilé officiellement est un exercice un peu scabreux. Mais de nombreuses informations ont « fuité » dans la presse américaine, permettant de se faire une idée des grandes lignes des mesures qui devaient initialement être annoncées par le Trésor US demain lundi, avant report à mardi, il y a moins d’une heure. D’ores et déjà, si l’on ne peut évidemment pas prévoir les chances de succès de ce nouveau plan, dont la mise au point finale pose visiblement problème, on peut apprécier les considérations qui nécessairement l’inspirent.

C’est un programme déjà adopté en novembre dernier, le TALF (Term Asset-backed Securities Loan Facility), qui est semble-t-il destiné à jouer un rôle vedette, avec la contribution financière de la Fed et le soutien technique d’une palette d’organismes, sous tutelle ou administration de l’Etat : Fannie Mae et Freddie Mac (organismes de refinancement hypothécaire), ainsi que l’organisme fédéral d’assurance des dépôts bancaires (FDIC).

Cette dernière administration dispose déjà d’un programme garantissant certaines catégories de dettes bancaires pendant trois ans, une facilité depuis étendue à dix ans. Les discussions se poursuivaient tout dernièrement entre le Trésor et le FDIC, afin de déterminer quelles dettes seraient effectivement couvertes. On devrait en savoir plus mardi. La Fed veut également faciliter l’accès au crédit des consommateurs et des petites entreprises. Sous l’ombrelle du TALF et de son budget de 200 milliards de dollars, la banque centrale ferait des prêts afin d’aider à financer des investisseurs détenteurs d’actifs de qualité adossés à des prêts « nouveaux ou récents », dans les domaines de l’éducation (prêts étudiants), des voitures et des cartes de crédit, ainsi que des emprunts garantis de petites entreprises. Larry Summers, conseiller économique de Barack Obama, a pour sa part indiqué aujourd’hui dimanche qu’il comporterait plus de 50 milliards de dollars destinés à éviter des saisies immobilières. Les hedge funds et fonds de gestion privée seraient éligibles à ce programme. Enfin, et ce n’est pas la moindre des mesures, le champ d’action du TALF devrait être étendu, afin d’inciter des investisseurs à acheter aux banques des actifs douteux, le gouvernement les garantissant afin de limiter leurs pertes en cas de dépréciation de ces titres.

Le second volet du TARP (Troubled Asset Relief Program), également déjà adopté, serait par ailleurs utilisé pour injecter des fonds dans le système bancaire, très mal en point à voir le nombre de fermetures de banques régionales ces temps-ci, dans des conditions plus rigoureuses que le premier volet et qui restent à préciser. On parle dans la presse de conversion des actions préférentielles en titres ordinaires, transformant ainsi de la dette en actions.

En premier lieu, il est nécessaire de situer ces mesures dans leur contexte politique. Un compromis vient d’être péniblement adopté au sein du Sénat, afin de permettre l’adoption du plan de relance de l’administration Obama. Les discussions portaient à la fois sur l’ampleur de l’enveloppe financière du plan et sur ses allocations. Les Républicains, logiques avec eux-mêmes et persévérants dans leurs erreurs, ont cherché à en diminuer le total et à privilégier des réductions d’impôts. Le gouvernement américain se voyait mal redemander des fonds aux parlementaires dans ces conditions et cette considération politique à court terme a de toute évidence pesé sur la conception d’ensemble du plan. L’histoire se fait parfois à petits pas, faute de pouvoir faire de grandes enjambées.

Le lourd contexte des finances publiques américaines doit être également évoqué, un facteur bien plus important à moyen et long terme.

Ce qui semble caractériser le plan, une fois acquis qu’il va nécessiter peu de sorties en cash du Trésor, c’est qu’il repousse à plus tard la solution introuvable au problèmes des actifs toxiques. Exit le projet de bad bank. Pour des raisons de coût, donc, mais aussi parce que personne, pas plus qu’hier et pas moins que demain, ne sait quoi faire de ce paquet d’actif, de cette énorme pelote inextricablement emmêlée. Des estimations chiffrées des besoins de financement créés par la création d’une bad bank montrent qu’ils feraient exploser, avec des conséquences imprévisibles et qu’il vaut mieux ne même pas imaginer, les montants que le Trésor devrait aller chercher sur le marché. J’y reviens plus loin.

L’issue trouvée, la mise à disposition d’un programme de garanties de la Fed, a certes le grand mérite d’exister, mais elle a le grand défaut de repousser le problème à plus tard (à échéance de dix ans, dans le cadre du TALF actuel). Avec le grand risque de n’être, à terme, qu’un pur et simple étalement des payements, au frais de l’Etat et des contribuables. On abandonne à leur triste sort les actifs toxiques et l’on s’efforce donc de relancer sous toutes ses formes le crédit aux particuliers, nerf de la guerre de la croissance US, voilà la philosophie du plan. Quant aux actifs toxiques, les conditions financières qui vont être offertes vont-elles satisfaire les investisseurs ?

Rappel, le TALF prévoit la création ultérieure d’un « special purpose vehicle » (SPV) destiné à accueillir les actifs finalement délaissés par les investisseurs et de tout un mécanisme faisant notamment appel au Trésor, qui participerait aux pertes éventuelles (et éminemment probables), mais à hauteur maximum 20 milliards de dollars. Pour le solde, il suffira alors d’observer le gonflement de la taille du bilan de la Fed.

On comprend donc que l’administration Obama fait ce qu’elle peut dans le cadre des contraintes qui pèsent sur elle. Ces limitations financières permettent toutefois d’exprimer dès maintenant des doutes sur l’efficacité de son plan. Augurant qu’elle devra nécessairement se remettre prochainement à l’ouvrage. Washington a d’ailleurs déjà reconnu que les fonds du TARP ne seraient pas suffisants. Pourrait-il en être autrement, si l’on considère la multiplicité et l’ampleur des objectifs qui sont simultanément poursuivis, au regard du montant limité du programme ? En réalité, elle n’a toujours pas de solution à la même question lancinante : comment sortir de ce trou sans fond ?

L’hebdomadaire britannique The Economist a donné le 5 février un intéressant éclairage, sous un titre en forme de métaphore maritime « une vague de nouveaux emprunts menace le port dans la tempête » .

Les bons du Trésor à 10 ans ont vu leur rendement grimper de 2,04% à la mi-décembre à 2,9% au 4 février. Rapprochant, pour le comprendre, cet accroissement des taux de l’annonce faite par le Trésor US qu’il allait emprunter au premier trimestre 2009 un montant de 493 milliards de dollars.

S’appuyant sur l’estimation faite par Wrightson ICAP, un institut de recherche américain pointu, d’un montant total d’émissions de 1.800 milliards de dollars cette année, à comparer avec 1.500 milliards l’année précédente, The Economist s’interroge sur les conséquences de ces émissions faramineuses sur les taux, l’addition des émissions de 2008 et 2009 dépassant le montant net des emprunts de ces 27 dernières années. D’autant que le Trésor US doit en plus faire face à la compétition que représente l’émission d’obligations par les grandes entreprises, à d’importants niveaux en raison d’un accès difficile au crédit bancaire.

Enfin, facteur aggravant d’après le journal, les investisseurs pourraient également s’inquiéter du fait que les USA puissent décider de soulager le poids de leur dette grâce à l’inflation. Alors, conclut The Economist, « la tempête frapperait le Trésor ».

On croit mieux comprendre les débats qui ont agité la Fed ces deux dernières semaines, et dont peu a transparu. Utiliser à grande échelle les ressources de la création monétaire, une bien grande tentation, reviendrait à se tirer une balle dans le pied, vu l’endettement colossal du pays et, surtout, ses besoins estimés de financement non moins gigantesques. Prétendre par ce biais effacer une partie de la dette actuelle et à venir, c’est donner aux investisseurs, dont il est beaucoup attendu, le pire signal. Induire une irrésistible nouvelle montée des taux, pour commencer. Où placer le curseur entre création de la dette et création monétaire, c’est tout le redoutable problème qui est posé, et qui va sans nul doute continuer de l’être sans réponse affirmée. Il semble n’y avoir, en effet, que de mauvaises solutions à disposition. C’est le lot commun de cette crise.

Partager :

11 réponses à “L’actualité de la crise : Un plan qui fait de nécessité vertu, par François Leclerc”

  1. Avatar de leduc
    leduc

    L’amérique se socialise petit à petit. Elle repousse à l’infini les réformes nécessaires et essentielles, elle va prendre des mesures dans l’urgence sans doute aussi mal conçues que les précédentes, et surtout ce qui m’inquiète c’est cette sorte de socialisation des pertes, de lissages des dettes, le contribuable risque donc bien de payer une moyenne des dettes pour sortir la minorité de ceux qui se sont fait piéger dans les prêts immobiliers douteux. Autant dire que si ce comportement se généralisait, si les gens prenaient conscience que comme les banques il suffit de faire défaut pour avoir des garanties, que les mauvais comportements amènent des compensations, alors les ennuis vont s’aggraver. C’est le genre de situation délicate où il ne faudrait surtout pas donner l’impression que les mauvais comportements sont récompensés et que ce sont ceux qui n’ont pas fautés qui vont payer pour les autres.
    Je veux dire aussi, vu la situation actuelle, où personne n’a rien fait pendant des mois alors que de nombreuses personnes tiraient le signal d’alarme, ce n’est pas la peine de se presser et de forcer des stimulus financiers gigantesques. Oui il y a 500.000 chomeurs de plus chaque mois aux USA, mais bon, vu le temps que vont prendre ses mesures à se réaliser, à porter leurs effets sur le moyen et long terme, il vaudrait mieux prendre encore quelques jours, voir quelques semaines pour peaufiner quelque chose de bien fini plutot que de lancer dans l’urgence quelque chose de mal concu. Mieux vaut ne pas céder à la fièvre de l’action urgente, car de toute façon les résultat eux se feront de toute façon attendre.

  2. Avatar de jacques
    jacques

    En résumé, on va abattre tous les arbres avant d’affirmer que l’argent ne pousse pas dans les arbres ! Ne serait-il pas plus vertueux de forcer les faillites de ceux qui cachent des véhicules de titrisation dans leurs bilans, qui provoquent la contraction de la liquidité, abusent socialement de l’argent public à coups de boni , jets et garanties de leurs actifs pourris par les banque centrales !

  3. Avatar de vladimir
    vladimir

    LA VERTU EN ACTES ?:

    dimanche 8 février 2009

    Huit états font Sécession contre Obama (update 1)

    Je m’attendais à quelque chose d’assez salé de la part de ses opposants, mais là ils y vont fort pour casser les burnes à Barack.

    Huit états réclament le respect intégral de leur souveraineté constitutionnelle, progressivement rognée par l’Etat Fédéral au cours de nombreux gouvernements précédents. Le prétexte est bien sûr que le plan Obama et son stimulus fiscal annoncé pour mardi c’est la cerise sur le gâteau qui fait déborder le vase……..

    [http://www.worldnetdaily.com/index.php?fa=PAGE.view&pageId=88218]

  4. Avatar de A.
    A.

    Francois, pourriez vous expliquer la phrase suivante : « à grande échelle les ressources de la création monétaire, une bien grande tentation, reviendrait à se tirer une balle dans le pied, vu l’endettement colossal du pays et, surtout, ses besoins estimés de financement non moins gigantesques ».

    Voulez vous dire que la création monétaire aurait pour conséquence l’apparition d’une inflation qui ne serait pas en mesure de diminuer le poids de la dette en raison de la pression à la hausse que subirait le taux d’intérêt réel ?

    Si ce que je crois comprendre en vous lisant est juste, alors j’en déduirais que la seule manière de diminuer le poids de la dette serait une accélération de l’inflation. Pensez-vous possible qu’une hyperinflation (>15%), et non une simple inflation, puisse se constater dans les années à venir afin de diminuer le poids, sans cesse croissant en raison de l’augmentaion des taux réels, des intérêts à payer par le Trésor ? Si c’est le cas, comment sortir de la boucle suivante : augmentation des taux réels, augmentation de la masse monétaire, accélération de l’inflation, augmentation des taux réels etc …

  5. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    @ A

    Je souhaitais dire, de manière trop elliptique, que ce à quoi la création monétaire et l’inflation qui en découlerait pouvaient aboutir, effacer la dette, aurait simultanément comme conséquence d’en renchérir le coût, en raison de l’augmentation des taux obligataires qui s’en suivrait. Les investisseurs ayant alors toutes les raisons de ne continuer à acheter des bons du Trésor que si leur rendement réel (taux moins inflation) était au moins positif…

  6. Avatar de A.
    A.

    @ François L.

    Mais alors, quelles sont leurs marges de manoeuvre ? Inflation, voire hyperinflation ou rigueur budgétaire extrême dans quelques années ?

    La première solution paraît, politiquement, la moins mauvaise.

  7. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    @ A

    Il n’y a que deux mauvaises solutions. Je ne partage pas l’idée de ceux qui pensent qu’un peu d’inflation serait la moins pire des choses. La troisième solution consisterait à abandonner les banques et leurs actionnaires à leur sort, en sortir les dépôts (au passif des bilans des banques) transférer leurs créances aux particuliers et aux entreprises à des « good banks » capitalisées sur fonds publics. Cela s’appellerait une expropriation (et d’après moi serait justice). Et poserait ensuite le problème des missions et du contrôle des good banks. Une construction théorique dans l’état actuel.

  8. Avatar de A.
    A.

    @ François L.

    Cela pourrait-il provoquer des effets, avec une ampleur supérieur, à la Lehman Brothers ?

  9. Avatar de François Leclerc
    François Leclerc

    @ A

    Cela impliquerait surtout un bouleversement social, sans pour cela revenir aux avatars de ce qui s’est appelé « socialisme », justifiant d’agiter le maniement de cet épouvantail. Désormais, « capitalisme » et « socialisme » ne sont-ils pas à un point partout ? Quand à l’économie, elle pourrait difficilement être beaucoup plus cul par dessus tête qu’aujourd’hui, si l’on ne s’en tient pas aux apparences…

  10. Avatar de Paul Jorion

    @ vladimir

    J’ai remplacé le lien dans votre message par le lien initial. Il s’agit d’une officine d’extrême-droite américaine, tendance « milices ». Ayez l’amabilité de ne pas relier mon blog à ces sites consacrés uniquement à la désinformation.

  11. Avatar de Philippe Deltombe
    Philippe Deltombe

    bonjour,

    le lien ci-dessous ne mène pas à une officine mal fréquentée mais à Talking Points Memo, et aux actualités de la crise de ce très bon blog.

    de l’humour distingué comme remède contre l’indécence ordinaire…

    http://tpmmuckraker.talkingpointsmemo.com/2009/02/how_theresa_hatt_caused_the_financial_crisis.php

Contact

Contactez Paul Jorion

Commentaires récents

Articles récents

Catégories

Archives

Tags

Allemagne Aristote bancor BCE Bourse Brexit capitalisme centrale nucléaire de Fukushima ChatGPT Chine Confinement Coronavirus Covid-19 dette dette publique Donald Trump Emmanuel Macron Espagne Etats-Unis Europe extinction du genre humain FMI France Grèce intelligence artificielle interdiction des paris sur les fluctuations de prix Italie Japon John Maynard Keynes Karl Marx pandémie Portugal psychanalyse robotisation Royaume-Uni Russie réchauffement climatique Réfugiés spéculation Thomas Piketty Ukraine ultralibéralisme Vladimir Poutine zone euro « Le dernier qui s'en va éteint la lumière »

Meta