L’actualité de la crise : PAR LE CHAS D’UNE AIGUILLE, par François Leclerc

Billet invité

Pour qui en douterait, les dirigeants européens ont un plan fait d’accommodation aux circonstances qu’ils ne maitrisent pas, dont la solidité reste à démontrer. Ils ne disposent que d’un filet de sécurité très mince, constitué du FESF et des « prêts de précaution et de liquidité » (LPL), dont le FMI vient de décider du lancement.

Du retour d’une tournée en Asie qui n’a pas été triomphale, il s’en faut, Klaus Regling, le directeur général du FESF, a admis que le fameux effet levier dont celui-ci doit être muni ne multiplierait ses fonds que par un facteur 2, peut-être 3 dans le meilleur des cas. Comme il reste 250 milliards d’euros à lever sur la base des garanties accordées, on sera loin du millier de milliards annoncé et cela ne va pas chercher loin, étant donné ce qui pourrait devoir être financé. Le taux auxquels les capitaux seront disponibles est encore une toute autre histoire.

Par ailleurs, les LPL du FMI, d’une durée de six mois à deux ans, pourraient atteindre dans le cas de l’Italie 45,5 milliards d’euros, et dans celui de l’Espagne 23,3 milliards d’euros. Alors que leurs besoins de financement sont respectivement de 440 et 200 milliards d’euros en 2012. Une sérieuse impasse financière devra donc vite être résolue, si ces deux derniers pays font appel à une aide financière, et s’il devient nécessaire d’aider également les banques, en vertu de la nouvelle mission du FESF.

Or, c’est précisément ce que la nouvelle équipe espagnole du Partido Popular voudrait faire, considérant qu’il faut mieux la demander en arrivant aux affaires que plus tard et à chaud. On se rappelle que c’était aussi l’intention du premier ministre portugais, Pedro Passos Coelho, avant la visite d’Olli Rehn à Lisbonne, qui l’a convaincu que ce n’était pas de circonstance. Mais ce n’est vraisemblablement que partie remise, et la question restera aussi à l’ordre du jour pour les Espagnols, s’ils subissent les mêmes pressions.

Du côté italien, Mario Monti annonce pour la semaine prochaine des réformes sur deux sujets jugés décisifs par ceux qui se font l’interprète des marchés : la réforme des retraites et de la réglementation du travail. Le nouveau président du Conseil prétend tout à la fois limiter la dette, relancer la croissance et respecter l’équité sociale : un ambitieux programme que ces mêmes marchés ont déjà salué à leur manière cette semaine passée. Changeront-ils d’avis durant celle qui s’annonce ?

En Grèce, le déblocage de la 6 éme tranche des prêts de l’Union européenne et du FMI n’est toujours pas intervenu, tandis que s’approche l’échéance de février du démarrage du nouveau plan de sauvetage, pour lequel le FESF va être mis à contribution. Le grand marchandage avec les banques qu’il comporte prend un tour inattendu. Court-circuitant l’Institute of Internationale Finance (IIF), à nouveau positionné comme intermédiaire entre les banques et le gouvernement, celui-ci a engagé des négociations directes, estimant que le conditions de l’échange pourraient ainsi lui être plus avantageuses. On parle même de l’intention de rendre obligatoire cet échange, profitant du fait que les obligations ont été émises selon le droit grec, ce qui rendrait inévitable l’activation des CDS. Il est prévu par l’IIF que celles qui seront apportées en échange le seront selon le droit anglais !

Le plan des dirigeants européens repose sur l’hypothèse que les nouvelles équipes gouvernementales vont remplir leurs engagements, ce qui serait une grande première. Les unes autant que les autres, Ces situations nationales sont extrêmement tendues et incertaines et les meilleures volontés technocratiques ont leur limites. Sans qu’il soit nécessaire de mettre sur le plateau d’une balance déjà lourdement chargé les cas de l’Autriche, de la Belgique et de la France, toutes trois déjà attaquées sur le marché obligataire.

Ce plan repose sur un autre volet, qui devrait être annoncé dans le cours de la préparation du prochain sommet européen des 8 et 9 décembre. Selon Welt am Sonntag, il s’agit du projet d’un « pacte de stabilité exclusif » qui reprendrait nombre des propositions déjà formulées côté allemand et qui serait également parrainé par les Français, pour être proposé à tous les pays membres de l’Union européenne, afin qu’ils y souscrivent. L’actuel pacte lie entre eux les 17 pays membres de la zone euro et l’idée serait que le nouveau soit plus restreint, si nécessaire. Préfigurant alors une zone euro reconfigurée. Le gouvernement allemand accordera-t-il en contrepartie, dans quelles conditions et selon quel calendrier, des émissions d’euro-obligations ? Cette inconnue n’est pas levée. Dans le contexte actuel, le risque sera grand qu’une telle décision fasse encore monter la fièvre obligataire…

Voilà donc les grandes lignes du plan ! Il est totalement muet à propos du système bancaire européen, sans doute parce qu’on compte qu’il pourra s’appuyer sur une décision de la BCE, qui devrait annoncer avant le sommet de décembre la mise sur pied de prêts à deux et trois ans aux banques, alors qu’elles rencontrent des difficultés croissantes pour se refinancer ainsi que augmenter leurs fonds propres.

Les liquidités de la BCE ne contribueront toutefois pas à ce second volet de leur renforcement, les investisseurs qui devraient y pourvoir ne se précipitant pas aux portes des banques européennes. Au lieu d’être une occasion, leur faible valorisation boursière – elles ont perdu en moyenne la moitié de celle-ci depuis février dernier – ne les attirent pas, car ils craignent que les banques connaissent de sérieux nouveaux coups de tabac et que leur valorisation ne diminue encore, une fois entrés au capital. Parmi les 70 d’entre elles qui doivent renforcer leurs fonds propres de 106 milliards d’euros, en attendant que l’addition soit augmentée par l’Autorité européenne des banques (EBA), combien d’entre elles pourraient vendre des actions ? On parle de 5 à 10 seulement !

Côté émission d’obligations, la solution par défaut, il n’y a plus aucune demande pour celles qui ne sont pas couvertes par des collatéraux. Et ceux-ci se font rares quand ils sont de qualité, étant mis à toutes les sauces, d’où la solution de fortune des « liquidity swaps ».

Il n’est donc pas à exclure que des banques soient dans l’obligation de faire appel à des fonds publics, afin de se mettre au niveau requis de fonds propres. Ce qui renvoie aux disponibilités que le FESF devrait leur consacrer, au détriment des Etats qui seront aussi dans le besoin.

Ce plan tient donc du bout des doigts et un rien pourrait le faire glisser.

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105 réponses à “L’actualité de la crise : PAR LE CHAS D’UNE AIGUILLE, par François Leclerc”

  1. Avatar de Contempteur
    Contempteur

    « Les liquidités de la BCE ne contribueront toutefois pas à ce second volet de leur renforcement, les investisseurs qui devraient y pourvoir ne se précipitant pas aux portes des banques européennes. »

    Les plus gros zinzins étant les banques, quels pourraient être les investisseurs qui pourraient recapitaliser les banques ?…

  2. Avatar de Germanicus
    Germanicus

    Pour l’instant, nous sommes au stand by. Le raisonnement allemand ne manque pas d’une certaine logique: aider de manière inconditionnelle les pays membres du sud serait sans garantie, car chaque pays est indépendant et peut renoncer à sa politique d’austérité, peut-être même sur la pression de la rue.
    De plus, ce stand by permet de gagner du temps. Une révision des traités demandera du temps, des années. L’un des objectifs du corrigé sera la possiblité de pouvoir virer les pays membres « dèsobéissants ».
    Ce stand by est une manière politique de laisser pourrir la situation.

  3. Avatar de BA
    BA

    Lundi 28 novembre 2011 :

    Alors que des pays comme l’Italie ou la Hongrie ont de plus en plus de mal à se financer à des taux viables sur les marchés, Moody’s écrit que l’élan politique pour mettre en oeuvre une solution efficace à la crise pourrait n’être trouvé qu’après une série de chocs, ce qui pourrait mener davantage de pays à se voir privés d’accès aux marchés du financement pour une période prolongée.

    L’agence Moody’s fait là référence aux pays comme l’Irlande, la Grèce, le Portugal ou encore la Hongrie, qui ont dû bénéficier d’un ou plusieurs plans de sauvetage financier de la part de l’Union européenne ou du Fonds monétaire international.

    Selon elle, d’autres pays pourraient avoir besoin de faire appel à ce genre de solution si l’UE ne parvient pas à trouver rapidement une réponse adéquate à la crise, et ces pays verraient alors très probablement leur note abaissée à celle d’un investissement spéculatif.

    Au vu des événements des dernières semaines, Moody’s indique devoir considérer la probabilité d’un scénario encore plus négatif.

    Selon elle, la probabilité de défaillances multiples d’Etats de la zone euro n’est plus négligeable et ne cesse d’augmenter en l’absence de solution à la crise.

    Si cette probabilité devait se matérialiser, cela augmenterait la probabilité qu’un ou plusieurs pays quittent la zone euro, ajoute l’agence, pour qui ce scénario d’une fragmentation de l’euro aurait des répercussions négatives pour tous les pays de la zone euro et de l’UE.

    http://www.romandie.com/news/n/_Dette_les_notes_de_tous_les_pays_de_l_UE_sont_menacees_281120110611.asp

  4. Avatar de BA
    BA

    Le Trésor italien a émis ce matin 567 millions d’euros d’obligations indexées sur l’inflation à échéance 2023, dont les taux d’intérêt ont bondi à 7,3 %, contre 4,6 % lors de la dernière opération similaire, a annoncé la Banque d’Italie.

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