L’actualité de la crise : SUR UNE CORDE RAIDE, par François Leclerc

Billet invité

Ne dissimulant pas son soulagement d’avoir réussi à passer l’épreuve, Mario Monti, le président du Conseil italien, a cru pouvoir considérer que l’Italie venait de “s’éloigner du bord du précipice”. Le résultat de l’émission obligataire de lundi n’est pourtant pas si brillant : il a en effet été consenti un taux de 6,98% pour l’émission de titres à dix ans, à un cheveu du seuil de 7% considéré comme à terme insoutenable. Or les taux montent plus facilement et rapidement qu’ils ne descendent – sur le marché secondaire, il a dépassé à nouveau ce seuil – et les besoins de financement de la dette italienne sont de 450 milliards d’euros en 2012, le gouvernement venant de réussir à lever… 7 milliards d’euros.

Mario Monti va maintenir deux fers au feu pour tenter de détendre la situation : engager son fameux programme de réformes structurelles et vendre des actifs publics – participations dans des entreprises ou biens immobiliers, l’objectif étant de diminuer la dette d’au-moins 100 milliards d’euros sur ses 1.900 milliards au total – tout en tentant une problématique relance économique dans un contexte de récession prononcé. L’idée est d’introduire de la “flexibilité” grâce à un vaste programme de libéralisation et d’ouverture à la concurrence, afin de renforcer la compétitivité. Tout décodage de ce pathos est désormais superflu, mais il va falloir négocier précautionneusement les mesures qui en découlent afin de contenir les réactions sociales.

Cela revient à marcher sur la corde raide. Seule consolation, bien peu charitable, qui a échappé dans cette situation tendue à ce pieux technocrate lors de sa conférence de presse : en référence à ses fondamentaux, l’Italie ne mériterait pas de subir des taux obligataires aussi élevés que l’Espagne ! A ce propos, le Conseil des ministres espagnol a adopté aujourd’hui un décret-loi de mesures d’urgence, avec pour objectif de réduire les dépenses budgétaires de 16,5 milliards d’euros en 2012, des coupes supplémentaires d’un niveau de 10 milliards étant prévues au cas où le déficit public serait supérieur aux 6% du PIB promis. Mais le déficit devrait aux dernières nouvelles atteindre le taux de 8%, déjouant une fois encore tous les calculs.

Le pays est en train de s’enfoncer dans la récession, apportant sa participation au concert européen, ayant comme consolation – lui aussi – de ne pas être le seul à devoir rassurer les marchés sans toutefois y parvenir. Car l’objectif de Mariano Rajoy, le chef du gouvernement, est de ramener le déficit à 4,4% du PIB fin 2012, comptant notamment sur une loi de “modernisation de la législation du travail” pour l’atteindre… Cette droite est victime de ses certitudes idéologiques, quand elle ne les fait pas endosser par ceux qui se présentent à gauche.

Mario Monti fonde quant à lui ses espoirs dans les prochaines décisions européennes, là où le pire est pourtant toujours à attendre. Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des finances, vient pour le confirmer une nouvelle fois de déclarer : “Je crois qu’au cours des douze prochains mois nous aurons éliminé les dangers de contagion et serons parvenus à stabiliser la zone euro”, illustrant l’incapacité des dirigeants européens à prendre la mesure de la situation et à reconnaître sa grande instabilité. A l’appui de sa prédiction, il cite la perspective de la mise en place du Mécanisme européen de stabilité financière (MES) vers la mi-2012, sans savoir comment ses 80 milliards d’euros de capital seront réunis et à quelles conditions il pourra emprunter sur le marché. Car cela dépend notamment de l’évolution de la notation de la France.

En réalité, les résultats pour le moins mitigés des dernières émissions obligataires italiennes montrent l’étendue des problèmes qui ne sont pas pris en compte. La Grèce va pour sa part entrer dans un nouveau cycle de négociations financières relatives à la poursuite de son sauvetage, alors que le précédent n’est pas terminé, laissant toujours planer la menace d’un défaut sur sa dette et d’une sortie de la zone euro, qui créerait une cascade d’événements imprévisibles. L’éclatement de cette dernière n’est d’ailleurs plus un sujet tabou, tandis que l’arrivée comme un sauveur du FMI semble déjà oubliée. Les banques – qui dans ce cas subiraient un effet domino redouté – sont pour leur part maintenues le nez hors de l’eau par la BCE, confirmant ainsi indirectement leur vulnérabilité, ce qui ne les empêche pas de peiner pour renforcer leurs fonds propres.

Toujours pas prise à bras le corps, la crise européenne reste menaçante, renvoyant à celle qui parcourt le monde qu’il ne faudrait pas oublier. Les exportations du Japon sont affectées par le renchérissement du yen résultant de la faiblesse du dollar, ainsi que par le ralentissement économique mondial, tandis que la consommation intérieure continue de régresser et la production industrielle de diminuer, en dépit des mesures publiques de relance. Le pays continue de subir une déflation dont il ne parvient pas à sortir.

De leur côté, les Etats-Unis continuent de repousser par petites étapes successives le moment où il va falloir engager la réduction de leur endettement, tout en enregistrant une faiblesse accrue de leur croissance. Enfin, la Chine souffre d’avoir pris les recettes du capitalisme financier pour argent comptant, confrontée à une bulle immobilière et au déséquilibre de son système bancaire atteint par la mauvaise qualité de ses actifs, engagée dans un modèle de développement déséquilibré accentuant les inégalités. Se retrouvant dans le cadre d’une formule que l’on pourrait énoncer comme étant un système, deux pays, suite logique mais inversée de celle de Den Xiaoping : “un pays, deux systèmes”.

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132 réponses à “L’actualité de la crise : SUR UNE CORDE RAIDE, par François Leclerc”

  1. Avatar de BA
    BA

    Quand les anciennes monnaies de la zone euro refont surface.

    Tandis qu’économistes et banquiers planchent sur ce qui faisait figure, il y a quelques semaines encore, de scénario catastrophe, d’autres expérimentent déjà la disparition de la monnaie unique.

    Ainsi aux Pays-Bas, profitant de la tempête qui s’est abattue sur la zone euro et la vague montante d’eurosceptiques, le safari park Beekse Bergen, installé près de la ville de Tilburg, a restauré, le temps d’un week-end, l’ancien florin. Des dizaines de Néerlandais ont fait les fonds de tiroirs pour s’offrir la visite. De surcroît, au taux attractif de un euro pour un florin, alors que l’ancienne parité était de 0,45 euro. Histoire d’insister sur le sentiment général que le passage à la monnaie unique a fait valser les étiquettes.

    Mêmes causes, mêmes effets, à 2000 kilomètres de là, plein sud. Nous sommes en Galice, dans le petit village frontalier de Salvaterra de Mino. Là, l’expérience est menée à plus grande échelle et sur une plus longue période : cinquante commerçants sur 78 au total acceptent depuis début octobre le paiement en pesetas.

    L’opération se terminera le 31 décembre 2011 et devrait dépasser le million de pesetas, soit quelque 6000 euros. Une aubaine, à la veille des fêtes de Noël, qui permet aux habitants de financer les cadeaux à moindres frais et réveille une certaine nostalgie. Selon la Banque d’Espagne, l’équivalent de 1,7 milliard d’euros dort encore dans les chaumières.

    Grèce : alors que la crainte d’une exclusion de la Grèce de l’euro est vive, les drachmes refont surface.

    «Nous n’aurons bientôt plus une drachme dans nos portefeuilles.» Cette expression est courante pour les Grecs, pour dire leur crainte d’être ruinés si la crise perdure. D’actualité, cette formule relate aussi l’attachement des Grecs à leur monnaie nationale, datant de l’Antiquité et qui a vécu jusqu’en 2001.

    Aujourd’hui, la crainte d’une exclusion de la Grèce de l’euro est si vive que des drachmes se retrouvent en vente sur les marchés aux puces du centre d’Athènes et que certains ressortent billets et pièces enfouis dans leurs caves. Des commerçants affichent à nouveau, près de leurs caisses, un tableau de conversion drachme-euro.

    http://www.lefigaro.fr/tauxetdevises/2011/12/21/04004-20111221ARTFIG00321-quand-les-anciennes-monnaies-de-la-zone-euro-refont-surface.php

  2. Avatar de zebulon
    zebulon

    Rien de nouveau sous le soleil libéral
    La privatisation est la solution quel que soit le problème. (aaa)

    Maintenant, il n’y a qu’ à lister les groupes privés parasites qui vont tirer profit de ces nouvelles rentes de situations.

    comme par hasard ils auront certainement un ami banquier

  3. Avatar de BA
    BA

    Dimanche 1er janvier 2012 :

    Tout ça ne pourra pas durer éternellement. D’abord parce que la construction européenne s’apprête à s’effondrer sous le poids de ses propres malfaçons et que l’on s’approche chaque jour davantage du point critique où la panique financière, en avance même sur les défauts souverains, mettra de nouveau à bas le système bancaire entier, ne laissant plus que les banques centrales comme uniques institutions capables, avec le risque que le refus de la BCE conduise au réarmement forcé des banques centrales nationales, donc à l’éclatement de l’euro.

    Mais ça ne pourra pas durer non plus parce qu’on ne dépouille pas impunément les corps sociaux de leurs prérogatives souveraines, en tout cas sans s’exposer au risque que vienne un jour où ceux-ci décident de la récupérer violemment – et, un peu à la manière de ce qu’avait montré Karl Polanyi à propos des années 30, la chose peut ne pas être belle à voir…

    La laideur cependant n’est pas non plus une fatalité, car c’est aussi une opportunité historique de renverser l’ordre néolibéral qui est en train de se former dans ce bouillonnement de contradictions. Et de se débarrasser par la même occasion de tous ses desservants, ceux-là mêmes qui ont des décennies durant expliqué au bas peuple que l’ordre du monde est idéal, qu’il avait de toute façon la force d’une donnée de nature et que l’on ne saurait se rebeller contre la loi de la gravitation, qu’au demeurant la construction européenne telle qu’elle est (était…), elle aussi intouchable dans sa perfection même, était là pour notre supplément de bonheur, qu’il fallait être au choix archaïque, frileux ou xénophobe pour trouver à y redire.

    Tous ces gens, hommes politiques de gauche, de droite, experts dévoués, chroniqueurs multicartes, éditorialistes suffisants et insuffisants comme disait non sans cruauté Bourdieu, tous ces répétiteurs, voués à la pédagogie du peuple obtus, se sont trompés sur tout, et les voilà qui contemplent sidérés l’écroulement du monde dont ils ont été si longtemps les oblats. Et l’on se prend à rêver de les voir eux aussi partir par la bonde à l’occasion de la grande lessive.

    Frédéric Lordon.

    http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/74705/date/2012-01-01/article/2011-vu-par-frederic-lordon-les-ingredients-du-desastre/

  4. Avatar de furuyama
    furuyama

    quel salmigondis que cet article. beaucoup d’images, peu de science économique. quand les arguments définitifs sont du type  » il est sur la corde raide » il faut, il est urgent de se méfier.
    Le problème du débat politique en france de nos jours c’est qu’il est totalement dominé par les sujets économiques et financiers et que, comme chacun sait, notre culture générale dans le domaine est très défaillante.
    En sorte que tout le monde peut s’inventer économiste et spécialiste sans que le citoyen puisse séparer l’usurpation de l’authentique: la mauvaise monnaie chasse la bonne.

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