Le grand puzzle de Netanyahou, par Florian Vidal

Billet invité.

Alors que la tension est montée d’un cran au Proche-Orient, suite au bombardement par l’aviation israélienne d’un complexe militaro-industriel en territoire syrien, le président de l’Etat hébreu Shimon Peres vient d’inaugurer la 19ème Knesset, suite aux élections législatives qui se sont déroulées le 22 janvier dernier. Le nouveau paysage parlementaire affiche un écart minimal entre le clivage traditionnel gauche/droite. Le bloc centre-gauche, emmené notamment par Shelly Yachimovich (Parti travailliste – 15) pour la gauche et Yaïr Lapid (Yesh Atid – 19) pour le centre, rassemble au total 59 sièges contre 61 pour la droite. Ainsi, la future chambre monocamérale offre une nouvelle fois un visage très composite, et pourrait s’avérer difficilement contrôlable pour le Premier ministre sortant. En arrivant en tête lors du scrutin, la joint-venture Likoud-Beitenou (31) offre à Benyamin Netanyahou son troisième mandat. Ce qui représente un fait unique dans l’histoire contemporaine d’Israël. Cependant, ce nouveau mandat n’est pas un blanc-seing des électeurs, bien au contraire.

Avec seulement 31 sièges, le Likoud, en joignant ses forces avec le parti russophone d’Avidgor Lieberman, a perdu un grand pan de son électorat traditionnel. Déjà les élections internes du Likoud au mois de décembre ont dévoilé une nouvelle génération de leaders politiques plus religieuse et plus nationaliste. Une droitisation qui s’est effectuée au détriment des libéraux du parti comme le vice-Premier ministre Dan Méridor, écarté à l’occasion de ces législatives. Le Likoud et son chef paient l’addition d’une politique dont le tropisme sur la colonisation est devenu trop encombrant ; à tel point que la plateforme programmatique lors de ces élections est restée floue. Quant au parti Beitenou, son existence même pose désormais question. L’électorat russophone tend progressivement à reporter son vote sur l’échiquier politique traditionnel. Une étape de plus dans l’intégration d’une population installée en Israël à partir des années 1990 en provenance de l’ex-URSS.

Cette élection a permis de dévoiler l’émergence de leaders dont la scène politique israélienne manquait cruellement ces dernières années. Même si des interrogations demeurent sur l’épaisseur politique de ces personnalités comme Yaïr Lapid, un ancien journaliste, qui a créé durant l’été 2012 son mouvement politique alors qu’il ne possédait aucune expérience politique. Face à Benyamin Netanyahou, le combat s’annonçait déséquilibré voire perdu d’avance. En terminant à la seconde place avec 19 sièges, il est aujourd’hui le maillon incontournable de la future coalition gouvernementale. Son parti a nettement bénéficié de la droitisation du Likoud. Au-delà de son charisme, les électeurs libéraux se sont tournés vers quelqu’un défendant la vision d’un Etat laïque qui le semble de moins en moins.

Au moment d’entamer les négociations avec le Likoud-Beitenou, Yaïr Lapid a déjà posé plusieurs conditions :

–       mettre en œuvre un agenda socio-économique tourné vers les classes moyennes ;

–       imposer la réforme sur la conscription militaire et l’accès au marché du travail aux religieux ultra-orthodoxes (haredim) ;

–       relancer le dialogue israélo-palestinien avec Mahmoud Abbas comme interlocuteur ;

–       veto à l’attribution du portefeuille de la Défense à Avigdor Lieberman.

Effectivement, une cohabitation entre Yaïr Lapid et Avigdor Lieberman semblerait bien incongrue. En évoquant ce dernier comme potentiel ministre de la Défense, le leader de Yesh Atid déclare au Jerusalem Post que « c’est un homme irresponsable et (je) ne souhaite pas qu’il se trouve près du bouton rouge ». Pour la construction de son mécano, le Likoud, affaibli, doit composer avec une droite singulièrement divisée entre nationalistes et religieux, d’un côté, et laïques et libéraux, de l’autre. Deux courants qui fissurent le Likoud lui-même. À partir de ce constat, Benyamin Netanyahou doit absolument maintenir un lien entre ces deux droites s’il souhaite obtenir une majorité confortable au sein de la Knesset.

Concomitante à cette incompatibilité idéologique, l’intégration du parti de Naftali Bennett au sein de la coalition menée par Benyamin Netanyahou est un énième grand écart. Partisan de la colonisation en « Judée-Samarie », Naftali Bennett a quitté le Likoud en 2012. Le 6 novembre de la même année, il prend la tête du parti nationaliste et religieux Habayit Hayehudi (La Maison Juive). Durant la campagne électorale, il s’est montré favorable à l’annexion de la zone C de la Cisjordanie (Jérsulem-Est et colonies), représentant les deux-tiers du territoire. En l’espace de quelques mois, Naftali Bennett a dépoussiéré un parti où les leaders religieux offraient une image terne et vieillie d’un parti déconsidéré. Son arrivée a impulsé un renouveau et une dynamique au sein d’un électorat qui dépasse désormais les seuls colons.

Afin de ne dépendre d’aucun parti, Benyamin Netanyahu souhaite une coalition très large. Il souhaite y intégrer Kadima qui connaît une nouvelle déroute électorale avec l’obtention de deux sièges seulement. Membre éphémère du gouvernement sortant, Shaul Mofaz y verrait l’occasion de se remettre en selle. Pour Tzipi Livni, fondatrice du mouvement Hatnua, une entrée dans la future coalition est pour le moment exclue. Partisane d’un pacte électoral avec Shelly Yachimovich et Yaïr Lapid, elle s’est montrée particulièrement virulente à l’égard de l’actuel Premier ministre. Son faible score la rend plus fragile sur la scène politique israélienne. Benyamin Netanyahou, à la fois habile et équilibriste, tente de gérer pragmatiquement les égos de ses rivaux directs. Quant au Shass, allié incontrôlable du Likoud, Benyamin Netanyahou a débuté des négociations difficiles. La réforme sur les haredim (point programmatique non-négociable de Yaïr Lapid) suscite un vif rejet des conservateurs religieux. Mais le parti ultra-orthodoxe demeure un allié indispensable sur la question iranienne. En effet, Benyamin Netanyahou a besoin de l’approbation des religieux pour mener une éventuelle offensive militaire contre les installations nucléaires en Iran.

Ainsi, chargé par le président Shimon Peres de former le prochain gouvernement, le futur Premier ministre dispose de quatre semaines pour résoudre cette équation. Et il a d’ores et déjà indiqué que sa boussole est pointée en direction de la question iranienne. Cette dernière demeurerait le dossier prioritaire de son équipe comme ce fut le cas ces quatre dernières années. Une stratégie de communication qui a fonctionné jusqu’à présent. En effet, la menace d’un Iran nucléaire élude de façon quasi-permanente la reprise des négociations israélo-palestiniennes. Or, Yaïr Lapid entend redonner vie à une négociation au point mort depuis 2009. D’autant plus que la nouvelle coqueluche de la politique israélienne peut désormais compter sur le nouveau secrétaire d’Etat étatsunien, John Kerry, qui souhaite s’atteler le plus rapidement possible à la reprise des discussions entre les deux parties. L’essentiel pour Washington est de sauver la solution à deux États. Une solution qui se réduit à chaque nouvelle construction s’érigeant dans une des colonies en Cisjordanie.

Le prochain gouvernement pourrait rencontrer d’importantes difficultés à poursuivre sa stratégie de la sourde oreille. Or pour le leader du Likoud, la difficulté au cours des mois à venir pourrait émerger au sein-même de son propre parti. En effet, l’apparition d’une nouvelle génération de leaders politiques s’est accompagnée d’un discours plus nationaliste et religieux. Ainsi, Moshe Feiglin, nouveau parlementaire et rival déclaré de Benyamin Netanyahou, a officiellement indiqué être prêt à diriger le parti fondé par Menahem Begin. Candidat malheureux à plusieurs reprises face au Premier ministre, il entend mettre la main cette fois sur le parti. Religieux extrémiste, celui-ci a pour ambition la reconstruction du Temple de Salomon où se trouve l’actuelle mosquée Al-Aqsa à Jérusalem. De surcroît, un élément inquiétant pour le Likoud est la comparaison entre le nombre de ses adhérents présents dans les colonies et le vote effectif le 22 janvier 2012. Moins d’électeurs ont voté favorablement pour la liste Likoud-Beitenou qu’il y a de membres. La thèse d’une infiltration du Likoud par les colons pour prendre l’ascendant idéologique en son sein prend désormais tout son sens.

Le magazine Books a consacré son numéro de janvier 2013 à Israël et son avenir avec un titre saisissant : « Le suicide d’Israël ». Ce dossier remet en perspective l’évolution de la société israélienne et son rapport à la question palestinienne. Le résultat des dernières élections invite à réfléchir sur l’impasse actuelle d’un pays qui semble avoir perdu ses repères et s’être enfermé dans ses peurs collectives. Et l’actuelle visite du président iranien Mahmoud Ahmadinejad au Caire, une première depuis 1979, ne contribuera pas à étouffer ses démons.

 

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