SHAKESPEARE MIS EN ONDES, par Un Belge

Billet invité. Deux réflexions sur mon intervention au théâtre du Rond-Point. La première par « Un Belge ».

La mémorable intervention de Paul Jorion, vendredi dernier au Théâtre du Rond Point, a débuté par un hommage à William Shakespeare, promu au rang d’incarnation divine, ni plus ni moins. Dieu se manifestant sous les traits d’un saltimbanque, on était d’emblée en pleine hérésie, ce qui promettait une joyeuse soirée. Et de fait, on a bien ri, mais pas seulement. Autre chose s’est produit, qui se passe (trop) rarement au théâtre.

On ne se réclame pas impunément d’une figure du passé aussi agissante que le créateur du Globe… D’autres en ont fait l’expérience. Par exemple, dans son livre « L’Espace Vide », le metteur en scène Peter Brook raconte avoir connu une singulière révélation lors de la commémoration, à Stratford, du quatrième centenaire de la naissance de Shakespeare. J’ai repensé à ce passage en cherchant à nommer ce qui venait d’avoir lieu, sur la scène et dans la salle du Rond Point… et dans mon salon de province grâce à la vidéo.

À Stratford, raconte Brook, l’idée de célébration, se rattachait vaguement à celle d’un banquet. (…) Des ambassadeurs se saluaient de la tête et se passaient le beaujolais rituel. Je bavardais avec le député local, puis quelqu’un fit un discours. Nous écoutâmes poliment et nous nous levâmes pour porter un toast à William Shakespeare. Au moment où les verres teintaient, durant une fraction de seconde, à travers la conscience commune de tous ceux qui étaient présents et qui se concentraient sur la même chose, l’idée que quatre cents ans auparavant un tel homme avait existé et que c’était pour lui que nous étions rassemblés s’imposa à tous. Pendant un instant, le silence devint plus profond, une bribe de ce que nous cherchions nous était donnée. Un moment plus tard, tout était effacé et oublié.

Un tel moment suspendu, où les personnes présentes se découvrent soudain reliées, non seulement entre elles mais aussi et surtout à quelque chose qui les précède et les dépasse, est précisément la raison d’être d’un rite ou d’une cérémonie. C’est d’ailleurs en ces termes que Brook analyse son expérience fugitive au banquet de Stratford : l’intuition de ce qu’aurait pu être une vraie cérémonie. Cérémonie athée, bien entendu. Ce n’est pas Dieu qu’on pressent tout à coup : c’est l’Homme, dans ce qu’il a de meilleur, qui parle à la fois au cœur et à l’intelligence de celles et ceux qui sont rassemblés.

De la même manière, le cœur et l’intelligence ont été à la fête, ce soir-là, au Théâtre du Rond-Point. Les complaintes à Notre Dame de la Zone Euro se sont momentanément interrompues et, dans ce « silence plus profond » dont parle Brook, on a pu entendre ou pressentir quelque chose de neuf ou d’oublié. Il y a donc bien eu « scoop »… mot barbare d’emprunt récent qui ne signifie pas autre chose que « révélation ».

Révélation de quoi ? Pas seulement d’une série d’hypothèses audacieuses qui pourraient modifier profondément notre représentation du monde ou de nous-mêmes. Mais aussi de quelque chose d’encore plus précieux, émanant moins du conférencier ou des personnes venues l’entendre que de l’espace vivant entre l’un et les autres, espace de com-possibilité fragile et vibrante, rendu à son vivant mystère.

Si les questions du public, probablement désarçonné par tant de nouveautés à la fois, ont ramené la discussion finale sur le thème de la crise que nous traversons et rendu Paul Jorion à son rôle plus habituel de commentateur averti de cette crise, il me semble que la véritable question posée ce soir-là, avec légèreté et élégance, est d’une tout autre portée.

Adressée simultanément à n’importe quel individu et à l’espèce humaine dans son ensemble, alors même que nous affrontons un tournant majeur de notre histoire, que se prépare, en termes quantiques, un spectaculaire « effondrement du train d’ondes », cette question toute shakespearienne est la suivante : « En notre âme et conscience, quel est notre désir ? Etre ou ne pas être ? »

 

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