La fortune « bien acquise », par Michel Leis

Billet invité.

Très beau texte que ce Les voleurs de lendemains par Bertrand Rouziès-Leonardi, sur la fortune « bien acquise », mais que l’on peut compléter sans doute d’un petit extrait de mon essai Crises économiques et régulations collectives. Le paradoxe du guépard (2012 : 67-68) :

« En mettant en avant une communauté apparente d’objectifs, une minorité a réussi à obtenir de la majorité une approbation tacite de cette répartition profondément inégalitaire de la richesse. Il est vrai qu’au-delà de cette motivation pour l’argent, l’autre élément qui fédère ce groupe d’individus est une croyance partagée dans la légitimité de cette répartition. Il est donc normal à leurs yeux que l’ensemble de la population reconnaisse cette légitimité, ce qui en fait une aristocratie autoproclamée.

Trois explications sont traditionnellement avancées par les bénéficiaires de cette répartition : 

 c’est le fruit de leur travail (ou celui du travail des générations qui ont précédé), ce qui les rapproche de vous et moi ;

 c’est le résultat d’une prise de risque sur le capital qui s’oppose à la traditionnelle aversion au risque que partagent la plupart des êtres humains. Cette prise de risque en fait donc des êtres d’exception ;

 à cela s’ajoute une troisième composante, l’esprit d’Entreprise. La littérature économique définit peu ou prou l’esprit d’Entreprise comme la réunion des capacités d’organisation, d’innovation et de visionnaires dans un même individu . Évidemment, pour cette même littérature, la réunion de toutes ces qualités dans un même individu est de l’ordre de l’exception.

Ces trois explications ne sont pas neutres. En rendant les choses proches de vous (le travail) et en y associant des capacités supposées plus rares (le goût du risque et l’esprit d’Entreprise), elles justifient une répartition « naturellement » inégalitaire. Ce discours présuppose que toutes les personnes présentant ces qualités pourraient aspirer à rejoindre le clan des élus, quelles que soient leurs conditions de départ. Ce n’est pourtant vrai qu’à la marge et dans des proportions très réduites. Vous pourrez peut-être vous enrichir, mais les chances que vous fassiez fortune sont vraiment infinitésimales. »

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