PROJET D’ARTICLE POUR « L’ENCYCLOPÉDIE AU XXIème SIÈCLE » – PEUPLE, par Bertrand Rouziès-Léonardi

Billet invité.

PEUPLE

PEUPLE : du latin populus, qui désigne avant tout le peuple en armes, l’émeute civique qui voit dans toute couronne une Bastille à prendre et à démanteler jusqu’aux fondements. Populus est masculin en latin. Il ne faut pas le confondre avec populus, féminin, qui signifie « peuplier ». Pourtant, sans être là, le peuple y est, puisqu’il est de ce bois dont l’aristocratie montante a pris l’habitude de se servir pour enfoncer la porte de l’aristocratie descendante. Parfois, le populus dégénère en plebs, en populace, quand les émeutiers commencent à ne plus faire la différence entre les porteurs de couronne et les aspirants à la royauté, tellement plus nombreux, qui se font un tapis rouge du sang répandu par d’autres. Si l’émeute civique en vient à déranger le train des affaires, il n’est plus question de peuple, mais de banditisme, et les honnêtes patriciens y mettent le holà en plantant des larrons en croix le long des routes principales. Ce télégraphe de la terreur est censé rappeler aux pèlerins de l’égalité qui les empruntent dans quelles limites ils doivent renfermer leur exaltation. 

Dans une démocratie bien portante, le peuple s’identifie à l’État-chose publique. Il ne s’agit alors plus d’un peuple en armes, mais d’un peuple en âme qui se gouverne convivialement[*]. Dans une démocratie incomplète ou déliquescente, où l’État-chose publique peine à se dégager des schèmes de l’oligarchie patrimoniale, quand il ne s’est pas hypothéqué lui-même auprès d’une technostructure conservatrice, jupitérienne, extérieure à lui, dont le type achevé est la Troïka (Commission européenne-BCE-FMI), le peuple s’identifie à une clientèle, à un clan, voire ne s’identifie plus à rien. C’est ainsi que le sauve-qui-peut, l’après-moi-le-déluge des grimpeurs fous de l’Everest spéculatif trouve un écho en plaine parmi les simples citoyens déserteurs de la chose publique. En Turquie, où l’État, aux yeux de beaucoup, n’existe plus que comme vache-à-lait clientéliste ou dispensateur de coups de matraque, on voit les petites gens incendier les quelques arpents de forêt ou de guarrigue qu’elles possèdent pour qu’ils soient déclarés terrains constructibles une fois le « sinistre » constaté. La spéculation immobilière sur brûlis, vous connaissiez ? 

Sur les bûchers antiques, les corps n’étaient pas brûlés mais boucanés, afin que les résidus de l’âme des défunts contenus dans leurs graisses pussent s’exsuder avec celles-ci jusqu’à la dernière particule et passer dans l’au-delà. Lorsque le peuple d’une République commence à détruire par le feu le bien que la loi lui reconnaît au préjudice du bien commun, c’est qu’il tient la République pour morte, mais c’est son âme à lui qu’il consume en la consumant. 

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[*] C’est la République selon Ivan Illich : La Convivialité, 1973. 

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