UNE CONVERSATION AUJOURD’HUI AVEC JOHN DUNN

Je m’étais promis de renouer dès que possible la conversation entamée avec John Dunn en mai de cette année. Nous avons passé plusieurs heures ce matin dans la suite mise à sa disposition depuis 1970 dans le Gibbs building qui clôt la grande cour intérieure de King’s College à Cambridge. Il mettait un point final, au moment où je suis arrivé, à son « tutoring » de deux étudiants : il continue en effet, bien au-delà de l’éméritat, d’assumer le rôle de répétiteur pour les étudiants du collège. Nous avons parlé de sa vie quotidienne et il est dommage qu’aujourd’hui, aussi vieux que nous ayons la chance de vivre, des questions que j’appellerai pour la facilité, « de notes de gaz », s’évertuent à nous persécuter.

Nous avons heureusement évoqué aussi des choses plus intéressantes, comme le souvenir de John Maynard Keynes (1883-1946) qui hante King´s, dont il fut non seulement « fellow » mais aussi le trésorier de 1924 jusqu’à sa mort.

Keynes, me dit John, du moins dans la période qui précéda la crise cardiaque qui le terrassa en1937 et le laissa diminué une fois pour toutes, a laissé le souvenir d’une figure hautaine, souvent brutale dans ses manières, et autoritaire quand il intervenait au sein d’organes de décision. Joan Robinson (1903-1983), son interlocutrice de choix parmi les économistes, était bien davantage appréciée de ses collègues et de ses étudiants au sein du collège. « Le marxisme de Robinson passait bien mieux à King´s que le socialisme indéfinissable de Keynes », affirme John.

Nous avons aussi parlé de Robert Skidelsky, auteur de la monumentale biographie de Keynes en trois volumes, dont John me dit qu’il n’a pas pu chasser en la lisant, l’ombre que porte, selon lui, l’ouvrage que Skidelsky consacra aux politiciens britanniques durant la Dépression (1967) ainsi que la biographie ambigüe (1975) qu’il avait rédigée auparavant du fasciste Oswald Mosley, chef de file des Chemises Noires britanniques dans l’entre-deux-guerres.

Nous nous sommes interrogés sur le désistement d’Olivier Blanchard, économiste en chef du Fonds Monétaire International, pour l’audition publique sur la crise de la zone euro, qui se tiendra le 5 novembre au Parlement européen, où j’interviendrai. L’affirmation selon laquelle les membres du FMI n’ont pas le droit de s’exprimer devant un parlement est-elle sans arrière-pensées ? et si oui, s’agit-il d’un principe qu’il faille approuver ? Oui, dit John, si l’on considère que les prérogatives d’un parlement ne sont pas d’ordre heuristique : ne sont pas d’enquêter sur les causes des événements, aussi dramatiques que puissent être les conséquences de ces événements qui relèvent elles à juste titre de la compétence d’un parlement.

Nous avons pour finir réfléchi à l’étrange relation qui s’est instaurée entre la Chine et les États-Unis à l’occasion de la récente crise du « shutdown » et du replafonnement de la dette américaine. L’ensemble des principes confucianistes ont en effet été tournés en dérision par le gouvernement américain et par les membres du Congrès et du Sénat réunis. Aucun d’entre eux ne semble plus se préoccuper, non pas du « bien commun », notion après tout très occidentale, mais que chacun occupe de la manière qui convient le rôle que le sort a bien voulu lui confier. La « rectification » confucéenne a maintenant bien du chemin à reparcourir aux États-Unis : « Qu’un Congressiste soit (à nouveau) un Congressiste ; qu’un Sénateur soit (à nouveau) un Sénateur ; que Barack Obama soit (enfin) un Président ». Il n’est pas sain en effet, vu la manière autoritaire dont elle dirige ses affaires, que soit laissé à la Chine seule le rôle du maître d’école exaspéré qui ramène un peu d’ordre dans la salle de classe où le chaos s’est installé.

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