SOIRÉE À PAIMPOL – Communication publique et information, par Jean-François Le Bitoux

Billet invité

L’histoire débute dans un grand hangar d’entretien de matériel nautique, sur les quais de Paimpol en Trégor-Goëlo (Côtes-d’Armor) un beau soir d’été il y a 2 ou 3 ans. Erik Orsenna a invité par voie de presse à une soirée d’échange sur l’avenir marin de notre région et d’ailleurs. Chacun sait l’intérêt de l’académicien voyageur pour l’eau, la mer et tout ce qui s’y déroule. Ayant un nouveau livre en préparation, il a invité des amis à lui et des lecteurs à en discuter à bâtons rompus. C’est ainsi qu’il demande à Monique, l’ostréicultrice à laquelle il achète ses huîtres régulièrement, de raconter le calvaire que sa profession vit depuis quelques années. Et Monique raconte les mortalités qui se multiplient dans tous les bassins ostréicoles français depuis une dizaine d’années et elle souligne le rôle de sentinelle que joue le coquillage dans la qualité des eaux côtières que l’on peut craindre polluées de manière chronique, avec son point Godwin inéluctable : « Quand les huitres auront disparu, nous serons les prochaines victimes ! » Sauvons donc les lanceurs d’alerte, les ostréiculteurs, pour nous sauver nous-mêmes. Effectivement, alors que dans bien des pays, les productions conchylicoles passent depuis toujours en station d’épuration afin d’en garantir la qualité sanitaire, la position officielle de la France a longtemps été que c’était la qualité des eaux qui était la meilleure garantie de la qualité sanitaire des coquillages. Cette position a évolué quand des incidents se sont multipliés, et dorénavant les conchyliculteurs disposent tous d’une station d’épuration qui leur donne droit à leur étiquette sanitaire. Cet investissement économique additionnel constate ainsi que la qualité de l’eau de mer n’est plus ce qu’elle était ! Et Monique s’emporte et dénonce ces huîtres Triplos et Diplos – évoquées ici récemment – qui brouillent les responsabilités et d’éventuelles méthodes douteuses de la part des écloseries qui les produisent.

Là, je suis obligé d’intervenir car j’ai longtemps géré des écloseries de crevettes et je peux certifier que, vu de l’extérieur, nul n’a la moindre idée de ce qui s’y déroule : inutile de spéculer sur les bonnes et les mauvaises pratiques des uns et des autres, c’est totalement gratuit et le plus souvent faux. Dans un écosystème neuf, un élevage larvaire peut se dérouler sans difficulté particulière ; c’est ainsi que l’enseignement dans les lycées aquacoles professionnels en fait une démonstration pédagogique qui laisse croire aux futurs ostréiculteurs que « c’est facile ! ». Alors qu’il est « très difficile » d’assurer une production commerciale de qualité fiable et continue pour des raisons techniques complexes, que l’on ne saurait développer ici ; des paramètres encore totalement inconnus des techniciens les plus pointus peuvent prendre une importance inattendue au détour du chemin. Bref, me sentant concerné à plus d’un titre, comme écologiste, comme technicien et surtout comme consommateur, je suis allé offrir mes services à Monique et nous sommes convenus de nous retrouver sur son exploitation à la prochaine grande marée.

Une promenade à marée basse sur les plages de la baie de Paimpol par une journée ensoleillée d’août, c’est toujours un régal. J’ai donc circulé dans ses parcs et j’y ai vu une biodiversité étonnante et sympathique. Non seulement des crevettes, de petites plies et soles, et même une petite seiche ont jailli sous mes pas ; fixées aux poches d’élevage, il y avait des algues riches en agar-agar dont j’ignorais la présence sur nos côtes – ce n’est pas ma spécialité. Bref, j’ai tourné en rond pendant cinq à dix minutes puis j’ai laissé courir le temps pour profiter du beau temps. À l’autre extrémité du parc, Monique et sa famille entretenaient le stock et pêchaient des crabes : au pays, chacun sait qu’une soupe de crabes verts vaut toutes les bisques de homard !

En fait, je tournais en rond car je n’osais pas revenir vers Monique lui avouer combien je me sentais floué et inutile : elle venait de gommer d’un seul coup trente années d’expérience et d’interprétation biologique et vétérinaire. Selon mes critères, la qualité de la biodiversité observée devait être une garantie de la santé de ses élevages. Au bout de vingt minutes, j’ai pris mon courage à deux mains et je m’en suis retourné vers elle pour lui avouer : « Sincèrement, je ne peux rien pour vous, je ne comprends pas pourquoi vous subissez des mortalités dans un tel écosystème ». Et Monique est partie d’un grand rire : « C’est pas ici que les huîtres meurent, c’est dans le Golfe du Morbihan, en Bretagne Sud ! Ici, les copains m’ont dit que s’il ne survivait qu’une exploitation, je serai celle-là ! » Ouf, je revenais de loin, de très loin ! Mais Monique venait de me lancer une claque salutaire et tellement évidente : ne croyez pas ce qui est dit en public, c’est juste de la « communication » pour faire comme tout le monde, pour faire partie de la communauté ! Mais n’est-ce pas de la responsabilité élémentaire d’un professionnel que de vérifier la qualité des paramètres qu’il utilise dans son travail ? N’est-ce pas ce que font le garagiste et le plombier ? C’est aussi une manière de constater que ce qui prime trop souvent aujourd’hui en public, ce n’est pas « La transmission des savoirs » ou d’une connaissance mais une organisation et l’entretien de l’ignorance. J’ai cru entendre ce message en toile de fond, comme un leitmotiv, dans diverses interventions de Paul Jorion au cours de ce mois de novembre 2013 bien rempli. Je laisse chacun réviser les billets passés pour le vérifier.

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