Emprunts toxiques : Les serviteurs de l’intérêt général ET /OU de l’État, par Zébu

Billet invité.

« Le Gouvernement s’est assuré de la constitutionnalité du dispositif qu’il vous propose aujourd’hui. […] Le Conseil d’État a validé la constitutionnalité de ce dispositif. »

Le conseil constitutionnel appréciera à leur juste mesure ces deux déclarations de M. Christian Eckert, ex-rapporteur général de la Commission des Finances, de l’Economie Générale et du Budget de l’Assemblée Nationale, devenu récemment dans le nouveau gouvernement Valls, Secrétaire d’État chargé du Budget, dont la mission fut, lors de la première loi de validation, de ‘porter’ le texte de Bercy quant à l’amnistie proposée des banques concernant les ’emprunts toxiques’ des collectivités locales, et toujours à la manœuvre avec cette seconde mouture, devant le Sénat.

Un grand serviteur de l’État donc qui, logiquement, s’en vient défendre les intérêts de celui-ci, même lorsque certains de ses collègues députés PS avaient voté en Commission des Finances, pendant ce temps-là et contre son avis, des amendements modifiant la première loi de validation, collègues qu’il aurait alors dû écouter avec bien davantage d’attention, en lieu et place de répéter qu’il n’y avait pas d’autre voie que celle tracée ainsi pour l’État, les collectivités locales, les contribuables et les citoyens en général.

Un grand serviteur de l’État qui s’arroge néanmoins, au nom de celui-ci (et donc, cela va sans dire, de l’intérêt général, puisqu’il confond ontologiquement les deux en l’espèce) un pouvoir qui n’est pas le sien, à savoir de « s’assurer de la constitutionnalité » d’un texte, ou d’attribuer à d’autres, comme il le fait avec le Conseil d’État, ce même pouvoir, dont cette institution ne dispose pas plus que lui.

Quelle position plus confortable en effet que juge et partie ? Surtout quand on représente l’intérêt général, à moins que ce ne soit celui, plus spécifique, de l’État. Mon Dieu que ces choses sont compliquées !

Et elles le sont encore davantage quand on n’hésite pas, comme c’est le cas de M. Eckert, à encourager les collectivités locales à prendre pour parole d’évangile celle de l’État, au nom duquel il s’exprime, alors que l’on affirme que « Le Gouvernement a tiré tous les enseignements de la décision du Conseil constitutionnel. Oui, les collectivités locales pourront toujours ester sur d’autres motifs : absence manifeste du respect de la prudence nécessaire ou autres », quand le sens commun suggère le contraire, et que le rapport de la Commission des Finances démontre justement le contraire, parce que cette loi de validation ne concerne que les ‘crédits structurés’ et non les ‘swaps structurés’, pour lesquels, comme le dit rapport, seulement la notion de défaut d’information et de conseil peut être retenue, les responsabilités des banques étant différentes selon le type de produit financier dont il est question : « crédit » dans le premier cas, « instrument financier dérivé » dans le second.

À noter d’ailleurs que le même rapport cite sans hésiter le procès Lille/RBS comme exemple… de ‘swaps structurés’ où le défaut d’information et de conseil de la banque a été reconnu par le Tribunal de grande instance de Paris, mais oublie de mentionner que quelques mois plus tôt, le même Tribunal de grande instance avait reconnu coupable le département de Seine Saint-Denis face au Crédit Agricole pour une affaire similaire de ‘swaps structurés’, et oublie par la même occasion de préciser que le dit tribunal pour l’affaire Lille/RBS a débouché sur une… médiation judiciaire invitant les parties à définir les modalités de règlement du contentieux, qui devait s’avérer en défaveur de RBS.

Tout ceci prouve que dans ce champ là, celui du Code monétaire et financier qui s’applique aux instruments financiers dérivés, mais aussi parfois dans celui du Code de la consommation qui s’applique aux crédits, et en particulier aux ‘crédits structurés’, c’est bien à la justice de définir les responsabilités selon les cas de figure. Ce que ne permettra évidemment plus une telle loi de validation de l’intérêt de l’État, et de lui seul, quand il s’agit de tels produits financiers. Et il faut bien reconnaître que M. Eckert s’acquitte à merveille de ce rôle : celui de « serviteur » de l’État, et bien mieux certainement que de celui de « rapporteur général ».

Il en est d’autres, au Parti socialiste, qui s’acquittent de leur rôle avec moins de constance et d’opiniâtreté, qui défendent bec et ongles des positionnements d’une radicalité ‘à gauche’ sans concessions, qui tempêtent contre l’inadmissible Pacte de responsabilité mais qui, au moment de défendre leur amendement, se retrouvent contre toute plausibilité, ‘absents’, telle Marie-Noëlle Lienemann, Sénatrice PS de Paris, seule à avoir déposé un amendement (qui sollicitait l’extension de la loi de validation aux bailleurs sociaux privés, non concernés par le champ de l’intérêt général représenté par l’État) et seule à ne pas l’avoir défendu, quand tous les autres ont eu soit le courage d’accepter dans l’échange de retirer leurs amendements, soit le courage de les défendre tout en sachant leur cause perdue. Il est parfois de l’intérêt général, que celui, spécifique, de l’État ne soit pas soutenu…

Ceux qui, comme M. Pierre-Yves Collombat, s’en vont alors combattre le moulin à vent législatif de l’État, se retrouvent parfois tout simplement du côté qui s’assimile à celui de « l’Intérêt Général » à proprement parler :

« M. Pierre-Yves Collombat . – Sur ce sujet, je ne doute pas que nous nous reverrons. Écoper la barque qui prend l’eau n’est pas de bonne méthode : il faudrait prendre des mesures plus radicales.

Le système bâti sur les ruines de Dexia est aussi fragile que l’ancien. C’en est fascinant. Les banques sont responsables de la situation, beaucoup plus que les collectivités territoriales, même si certaines de celles-ci ont eu des comportements répréhensibles. Les tribunaux en ont jugé ainsi. Qui est le mieux placé pour trancher ? Le juge. Or ce projet de loi a pour but d’exonérer les banques de leurs responsabilités. Comment encourager les parties à trouver un accord en désarmant l’une d’entre elles ? »

Bonne question, à laquelle ni l’État, ni M. Eckert, si bon serviteur qu’il en soit, encore moins Mme Lienemann, ne répondront.

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