ESCAMOTÉ, L’ASSAINISSEMENT DES BANQUES EST TOUJOURS PRIORITAIRE, par François Leclerc

Billet invité.

Éclipsé par l’actualité politique, mais aussi par lassitude, le sujet lancinant parce qu’irrésolu des banques ne va pas tarder à réapparaître. Soit au chapitre des manipulations et tricheries, soit en raison de la nouvelle opération de communication de la BCE et de l’Autorité bancaire européenne, sur le thème « il n’y a rien à voir ! ». Mais les évolutions réglementaires les concernant vont également faire que l’on en reparle, quoique n’abordant toujours pas de front la problématique de leur assainissement, ce premier pas vers une véritable sortie de crise.

À l’initiative du vice-président de la FDIC (le fonds de garantie des banques américaines), Thomas Hoenig, il est de plus en plus question dans le petit monde des régulateurs de faire de l’effet de levier – le rapport entre actifs et fonds propres – le ratio principal régissant le niveau de capitalisation des banques, et non plus un simple filet de sécurité tendu sous les ratios de Bâle III. Car le calcul de ceux-ci repose sur la valorisation des actifs bancaires selon les modèles propres des banques et leur fiabilité est désormais en question, conduisant à prendre en considération le modèle de gestion du risque utilisé, un de plus !

Cela ne va pas sans de sérieux grincements de dents du côté des banques européennes, qui sont nettement moins capitalisées que leurs consœurs nord-américaines et donc susceptibles de devoir davantage renforcer leurs fonds propres. Elles figurent en effet parmi celles qui ont le plus faible ratio de levier dans la liste des 28 banques systémiques établie par le Conseil de stabilité financière (FSA). Certes, il est fait valoir que des règles comptables différentes des deux côtés de l’Atlantique sont à l’origine de cette disparité, mais cela ne comble pas l’écart.

Le ratio de levier résulte du rapport entre le montant des actifs (hors bilan compris) placé au dénominateur, et celui des fonds propres figurant au numérateur. Et l’on retrouve le diable en embuscade quand il s’agit de les calculer. À propos du numérateur, les régulateurs américains préconisent d’adopter la méthode de calcul du Comité de Bâle, ce que conteste la Fédération bancaire européenne (FBE), car sa hausse aboutirait à minorer le ratio. Quant au numérateur, les banques les plus honorables ont parfois pris leurs aises en intégrant dans son calcul des instruments financiers non éligibles, améliorant ainsi le leur. C’est semble-t-il le cas de la Deutsche Bank et de BNP Paribas, selon un responsable de Royal Bank of Scotland (RBS). Un sérieux ménage reste à faire, les banques devant publier leur ratio à partir de 2015 et atteindre la très basse valeur de 3% d’ici 2018, le Comité de Bâle envisageant d’adopter d’ici là une valeur plus élevée pour les banques cataloguées comme systémiques. De son côté, la Commission doit statuer d’ici fin 2016 sur le détail de son calibrage. Pas mal parti, le lobbying a encore des beaux jours devant lui.

Timothy Geithner, ancien président de la Fed de New York et ex-secrétaire au Trésor, estime dans son livre intitulé Stress Testsqui vient de paraître que de nouvelles crises sont inévitables. Ce qui donne tout son relief à la problématique des ratios d’évaluation de la solidité des banques. Mais, au-delà des finasseries actuelles sur leurs modalités de calcul, une question élémentaire est posée : quel devrait être la valeur du ratio de levier – celui qui est le moins susceptible d’accommodements – qui représenterait une garantie béton ? Un exercice tout théorique, car si la réglementation Bâle III laisse toute latitude à un pays pour imposer à ses banques un ratio plus strict que la sienne, il est peu probable que cette opportunité soit saisie en raison des distorsions de concurrence qui en résulteraient, que les banques de ce pays ne manqueraient pas de faire valoir pour s’y opposer.

Des éléments de réponse peuvent être apportés en prenant comme base de réflexion le montant des pertes essuyées par les banques au cours de la crise en cours. En Europe, elles ont d’après RBS varié de 5 à 15% du montant de leurs actifs, et il serait donc nécessaire a minima pour se garantir de s’aligner sur le chiffre le plus élevé des deux. D’autres estimations vont bien plus loin encore, démontrant au passage que l’on ne peut être certain de rien.

Adopter un pourcentage modeste de 5,8%, comme le propose un analyste de RBS en tenant compte des règles de renflouement des banques (bail-in) et avec pour objectif d’exclure toute implication de fonds publics, créerait déjà un besoin global supplémentaire en fonds propres de près de 500 milliards d’euros, en raison de l’énorme taille des bilans bancaires. En annonçant dans son rapport de stabilité financière semi-annuel rendu public aujourd’hui une recapitalisation des banques depuis le troisième trimestre 2013 à hauteur de 95 milliards d’euros, tous instruments financiers confondus, la BCE montre par comparaison la quasi-impossibilité d’adopter le pourcentage qui serait le plus réaliste, car ayant déjà été atteint, de 15%.

Comment, en effet, attirer les investisseurs dans un contexte où la rentabilité sur capitaux propres (ROE) des grandes banques européennes est si faible qu’ils sont amenés à s’interroger sur leur profil de risque ? Selon des calculs effectués par Reuters, le ROE des 26 banques européennes qui le communiquent est en moyenne ressorti en 2013 à 6,6%, en nette progression par rapport aux 3,9% de l’année précédente, mais bien en-dessous des niveaux d’avant la crise où la moyenne était de 19%. De fortes recapitalisations ne pourraient que diminuer encore ce faible ROE, anticipent les investisseurs que cela n’encourage pas à se manifester.

L’absence de solution met en évidence que la piste poursuivie n’est pas la bonne : ce ne sont pas les intervenants qu’il faut réglementer, mais les produits dangereux qu’il faut proscrire, c’est à dire tous ceux qui procèdent de paris sur les fluctuations de prix. Coup double, car ainsi la finance reviendra au service de l’économie.

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