Trois lois pour une plate-forme ?, par Patrice Brient

Billet invité. Réflexions sur le billet de Paul Jorion du 27 août dernier, “LA PLATE-FORME DES 80%”.

Il me semble que cette plate-forme devrait avant tout être une sorte de constitution, un cadre, un référentiel, un ensemble de principes définissant les règles intangibles que devrait suivre le modèle de société proposé.

Elle devrait en outre prendre la forme d’un texte bref, aisément intelligible et mémorisable, afin de permettre au plus grand nombre de s’y référer à tout instant. On notera au passage que la brièveté offre l’avantage, non négligeable, d’interdire au diable de se cacher dans les détails d’un de ces pavés technocratiques dont nos dirigeants sont si prodigues, et les avocats d’affaires si friands.

Un texte bref, donc, mais jusqu’au quel point ?

L’écrivain de science-fiction Isaac Asimov imagina dans les années 1940 trois lois auxquelles les robots de ses nouvelles devaient absolument obéir :

  1. Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni, restant passif, permettre qu’un être humain soit exposé au danger.
  2. Un robot doit obéir aux ordres que lui donne un être humain, sauf si de tels ordres entrent en conflit avec la Première loi.
  3. Un robot doit protéger son existence tant que cette protection n’entre pas en conflit avec la Première ou la Deuxième loi.

Asimov a tiré quelques dizaines de nouvelles illustrant tant les subtilités que les ambiguïtés de ses lois, et au final, démontrant malgré tout l’efficacité du concept.

Ne pourrait-on pas imaginer, si cette plate-forme devait poser les principes fondamentaux de ce que devrait être une société assurant la survie de l’espèce, de s’inspirer de  cette structure de trois lois hiérarchisées et interdépendantes ?

Quelle forme prendrait alors la première loi ?

Elle devrait permettre, à mon sens,  de sacraliser les conditions a minima de survie de l’espèce humaine. Autrement dit faire en sorte que soit garantie pour chacun la possibilité de se nourrir, s’hydrater, et respirer, se reproduire, etc. Or, pour ce faire, nous avons besoin d’oxygène, produit par la photosynthèse, de nutriments, issus essentiellement de la substance d’êtres vivants, de bactéries, qui vivent dans notre tube digestif, d’autres bactéries encore, sur notre peau et nos muqueuses, qui nous protègent des germes pathogènes. Bref, nous existons seulement dans et par la biosphère, et nos tentatives prométhéennes de nous en affranchir, ou de l’asservir, ont produit d’innombrables désastres à long terme, pour des effets positifs se cantonnant souvent aux comptes bancaires de leur promoteurs. La biosphère forme un système mondialisé, d’une complexité que nous commençons seulement à appréhender, en équilibre dynamique, basé exclusivement sur l’utilisation de ressources renouvelables, et qui peut aisément se passer de l’espèce humaine, quand la réciproque n’est pour le moment pas vérifiée. On déduira donc, du fait que la préservation de la biosphère est la condition la plus nécessaire à la survie de l’espèce, la matière de la première loi.

Maintenant que les conditions sine qua non sont posées, on peut se dire que survivre c’est bien, mais vivre bien c’est mieux. Le bien-vivre se doit d’être matériel, apportant un niveau de confort au-delà de la simple survie, tout en gardant un niveau d’utilisation des ressources permettant leur renouvellement. Mais l’être humain n’est pas un animal comme les autres, et quand son corps seul est satisfait, son esprit ne l’est pas forcément, qui doit aussi être nourri de lien social, de savoir, de culture, de croyance… Pour résumer, on peut dire que l’être humain a autant besoin de bien-être spirituel (au sens large) que matériel. Et on basera donc la deuxième loi sur le principe du droit au bien-être matériel et spirituel de chaque être humain.

Quant à la troisième Loi, il me semble qu’elle devrait permettre d’encadrer le gouvernement du genre humain, faisant en sorte que celui-ci soit autant que possible l’émanation des aspirations de la majorité, tout en se prémunissant des aspirations mortifères qui peuvent s’emparer de ladite majorité.

Alors, mesdames et messieurs, sous vos yeux ébahis (roulement de tambour…), voici, dans le cadre de la plate-forme des 80 %, rien moins que la version alpha des :

Trois Lois Fondamentales de l’Humanité :

Première Loi : L’humanité ne doit en aucun cas porter d’atteinte irréversible à la biosphère, et doit s’efforcer, chaque fois que nécessaire, de rétablir l’équilibre pérenne de celle-ci.

Seconde Loi : L’humanité doit s’efforcer de garantir le bien-être matériel et spirituel de tous ses membres, tant que cela n’entre pas en contradiction avec la Première Loi.

Troisième Loi : L’humanité doit être gouvernée selon la volonté de la majorité de ses membres, tant que cela n’entre pas en contradiction avec les deux autres Lois.

Mais foin de grandiloquence et d’abus de majuscules ! En tant que vétéran de la programmation informatique, je sais que le code qui semble le plus parfait à son auteur résiste rarement aux premiers tests par autrui, et doit donc en général être sérieusement revu et amendé avant de remplir parfaitement les fonctions attendues. D’ailleurs, Asimov lui-même a fini par ajouter une quatrième loi (la Loi Zéro)…

Finalement, voici donc, non pas un texte révélé et immuable, mais une ébauche, soumise à la réflexion collective, de ce qui devrait constituer un cadre constitutionnel fécond, permettant d’assurer durablement :

  • La survie de l’espèce humaine,
  • Son bonheur,
  • La maîtrise de son destin.
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