Régulation financière : BON ! MAIS C’EST PAS TOUT ÇA… par François Leclerc

Billet invité.

Reléguée au second plan, la régulation financière est la grande absente du paysage. Rendant implicite – quand elle n’est pas affirmée – l’idée fausse selon laquelle elle serait accomplie, alors qu’elle repose sur des bases la rendant par construction imparfaite, et que même là elle est loin d’être terminée.

Dans ce genre, les États-Unis peuvent certes se prévaloir d’une loi couvrant tous les domaines de la régulation – la loi Dodd-Frank – qui entre progressivement en vigueur, mais dont tous ses décrets d’application sont loin d’être adoptés, laissant de grandes zones d’ombre propice. L’heure y est par ailleurs à la poursuite d’enquêtes, dont certaines ont débuté en 2009, aboutissant désormais à des amendes qui tombent dru. Les milliards de dollars valsent et ce n’est pas fini, les mégabanques américaines et européennes en sont déjà à un total de 85 milliards de dollars d’amendes. Ventes abusives de titres subprimes, manipulations sur le Libor et les taux de change sont les grandes têtes de chapitre du registre consignant les punitions. De manière moins spectaculaire et plus timorée, les autorités britanniques et la Commission se sont également mises de la partie.

« Il y a des gens qui devraient aller en prison », avait déclaré en décembre dernier Michel Barnier, commissaire chargé des services financier sortant, ce devrait bientôt être chose faite d’après Eric Holder, le ministre de la justice américain. Il a hier annoncé que des poursuites au pénal contre des grands banquiers allaient être engagés, et a dévoilé que ses services utilisaient moyennant rémunération des indicateurs au sein du monde bancaire. La somme maximum pouvant être versée à l’un de ceux-ci étant plafonnée à 1,6 milliards de dollar, le ministre demande qu’elle soit augmentée, faisant valoir par comparaison que le salaire annuel moyen de la profession est de 15 millions de dollars, le total des bonus ayant été l’an dernier de 26 milliards de dollars.

De leur côté, les européens traînent la patte, aussi bien dans le domaine de la régulation que dans l’avancement de leurs enquêtes et sanctions. Au contraire, la tendance est à la protection de leurs grandes banques et à se rebiffer contre les intrusions des organismes et de la justice américaine sur leur pré carré, comme l’a montré de manière éhontée l’affaire de BNP Paribas pris la main dans le pot à confiture. La prochaine Commission, qui entrera en fonction le 1er novembre prochain, ainsi que les trois agences européennes de régulation – respectivement en charge des banques, des assurances et des marchés financiers – ont pourtant du pain sur la planche. Mais d’autres dossiers vont solliciter toutes les énergies.

En tête, le sort éminemment politique et symbolique réservé à la France, coupable de ne pas entrer dans le rang et respecter les règles de déficit budgétaire. Puis viendront les débats et arguties à propos de la flexibilité de celles-ci. Et, pour faire bonne figure, le contenu apporté à l’annonce d’un plan d’investissement sur trois ans de 300 milliards d’euros de capitaux publics et privés de Jean-Claude Juncker. Sans capitaux publics, tonnent déjà les responsables allemands ! L’élargissement de la capacité budgétaire communautaire, et le dossier toujours aussi chaud de l’émission d’euro-obligations, feront enfin les délices des spéculations, en raison de désaccords persistants avec les mêmes.

Côté grande politique, il ne pourra pas être attendu beaucoup du sommet européen extraordinaire du 7 octobre prochain, porté par François Hollande et Matteo Renzi et consacré à la relance et la croissance. Le report sine die du sommet sur l’emploi qui devait le précéder, pour des raisons « de calendrier », n’annonce rien de bon. De manière significative, Wolfgang Schäuble, le ministre des finances allemand, a claqué la porte en déclarant qu’il était « vain » de critiquer l’Allemagne en lui demandant un effort d’investissement.

La Commission et la BCE vont à nouveau se pencher sur le système bancaire européen. La première en publiant début octobre une proposition de calcul des cotisations des banques au fonds de résolution de l’Union bancaire, qui est très chichement doté. Un sujet très controversé. La seconde en rendant public, avant de prendre sous la responsabilité de Danièle Nouy ses fonctions de surveillance et de supervision (le 4 novembre prochain), une sorte d’état des lieux des 128 banques sélectionnées. Il y a du tangage sur les deux dossiers, et plus particulièrement sur le second.

Les nouveaux stress tests de l’Autorité bancaire européenne (EBA) vont enchaîner l’examen de qualité des actifs bancaires de la BCE, pour en tenir compte comme il est logique. Mais l’association des banques allemandes s’est rebellée à propos de la procédure qui leur est imposée, à savoir la signature d’un accord de confidentialité portant sur les informations communiquées dans un premier temps aux banques elles-mêmes. En réalité, il y a de l’affolement dans l’air en raison du sort qui pourrait être réservé à un important secteur du système bancaire allemand, en particulier du côté des Sparkassen (les caisses d’épargne). L’association voudrait que les établissements aient plus de temps pour discuter le bout de gras que les 48 heures prévues avant que les conclusions de la BCE soient rendues publiques. À suivre.

De gros dossiers techniques aux implications déterminantes, et dont beaucoup traitent de l’insaisissable risque systémique, restent en attente (dans la novlangue, technique signifie que l’on préfère en dissimuler l’importance). On ne peut empêcher les départs de feu, l’essentiel est donc d’éviter sa propagation : telle en est l’inspiration ! Figurent parmi ceux-ci le renforcement des lignes de défense des chambre de compensation, qui sont amenées à traiter des volumes croissants de transactions financières sur des produits structurés et concentrent le risque. Mais l’avis du Conseil de Stabilité financière (FSB) est pour cela toujours attendu. Viennent ensuite l’encadrement des fonds monétaires, avec l’interdiction des fonds à valeur constante, un autre débat houleux, ainsi que la supervision des indices et celle des opérations de financement sur titre (« repos » ou « mise en pension »). Il est d’ores et déjà acquis que le projet de séparation des activités bancaires, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre mais dont les banques ne veulent en aucun cas, continuera d’avancer à son même pas de sénateur.

Côté des agences européennes de régulation, les grandes têtes de chapitre donnent le tournis. Elles devraient en effet déterminer l’encadrement des modèles internes des banques de calcul du risque, préciser le calibrage du ratio de liquidité à court terme de celles-ci, et adopter les modalités de reporting du collatéral et du calcul des appels de marge. Pas de panique ! les intitulés peuvent paraître obscurs, mais pas pour les établissements financiers qui connaissent leurs implications ! Heureusement, de longues périodes de consultation au sein de la profession sont prévues, afin de ne pas jouer les éléphants dans un magasin de porcelaine…

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