Pourquoi le vote FN ne sert à rien, par François Fièvre

Billet invité.

On ne cesse de le répéter, mais pas forcément toujours avec les bons arguments. On a beau jeu de faire du FN un parti antirépublicain, immoral, négationniste, etc., mais cela ne convainc que les convaincus, et pas ceux susceptibles de voter pour le FN. On peut aussi expliquer que le programme du FN est « irréaliste » du point de vue économique, mais vu qu’on dit ça aussi de tout programme qui ne rentre pas dans les clous du néolibéralisme bruxellois, on ne voit pas trop quelle est la différence entre gauche et droite, et du coup, comme Marion Maréchal-Le Pen a une meilleure tête que Jean-Luc Mélenchon qui n’arrête pas de crier, eh bien on vote FN. Parce qu’on se sent exclu du débat médiatique, oublié des pouvoirs publics, ou pour tout un tas de raisons plus ou moins bien fondées.

Mais ce qu’on oublie souvent de préciser, c’est qu’il existe une différence fondamentale entre le vote FN et le vote de l’« autre gauche » (soit en gros le vote FG ou EELV, on laissera volontairement de côté le vote UMP et PS qui ne sert à rien non plus, mais pour d’autres raisons).

Le FG et EELV sont des partis résolument pro-européens, contrairement au FN qui est anti-européen et prône une sortie de l’euro. Expliquer pourquoi une sortie de l’euro est compliquée voire dangereuse du point de vue économique est bien, mais ce n’est pas cela qui va encore une fois convaincre quelqu’un de ne pas voter FN, parce que la plupart des gens ne comprennent pas, moi compris, de quoi il retournerait techniquement de sortir de l’euro. L’argument moral comme quoi il faut « s’ouvrir au monde » et ne pas « se refermer sur soi-même » est de son côté aussi malvenu qu’inefficace… parce que quand des populations se sentent, à tort ou à raison, assaillies ou agressées de l’extérieur, la pire chose possible à leur dire est qu’il faut « s’ouvrir aux autres ». En d’autres termes, la question identitaire est une question préoccupante, mais qui n’est que de second ordre dans la crise que notre société traverse.

Non, le seul argument qui vaille pour montrer que le vote FN ne sert à rien est celui-là. Contre les politiques d’austérité imposées par les institutions européennes, vous n’avez que deux solutions : sortir de l’Europe, ou changer l’Europe. Changer l’Europe est la solution prônée au niveau européen par différents groupes de gauche radicale, comme Syriza actuellement au pouvoir en Grèce, Podemos en Espagne, Die Linke en Allemagne, ou le Front de gauche en France, réunis pour certains d’entre eux au sein du Parti de la gauche européenne. Sortir de l’Europe est la solution prônée au niveau européen par différents groupes de droite radicale, ou « extrême-droite » si l’on veut, en tout cas de droite identitaire, regroupés au Parlement européen sous la bannière notamment de l’Alliance européenne des mouvements nationaux, de laquelle le FN français faisait un temps partie (les députés européens du FN ne sont actuellement inscrits à aucun groupe parlementaire, ce qui rend par ailleurs leur scrutin assez inefficace au niveau européen).

Quelle est objectivement la meilleure solution, changer l’Europe, ou sortir de l’Europe ? On peut se poser la question, quand on voit Alexis Tsipras s’acharner à rester dans les rangs de l’Europe malgré tous les obstacles, tous les refus, toutes les pressions exercées contre son gouvernement, de savoir si l’Europe est transformable ou non. Ne serait-il pas plus facile d’en sortir ? Il y a bien sûr le problème technique de la sortie de la zone Euro une fois qu’on y est rentré, mais rien d’absolument incontournable, au prix peut-être d’une grande misère et de sérieux déboires économiques, mais au moins, les choses seraient réglées du point de vue politique.

Non, en fait le problème est que, une fois sortis de l’Europe, la question ne serait pas réglée du tout. Pourquoi donc ? Parce que nous vivons aujourd’hui dans une économie mondialisée, qui dépasse le niveau de l’état-nation. Revenir à l’état-nation permettrait donc peut-être de se débarrasser un temps des politiques d’austérité, mais il ne réglerait ni le problème de la dette, ni celui de la dépendance énergétique, ni celui de la sécurité des populations, ni celui de la misère sociale. Mais si on sort de l’Europe, on sort de l’économie mondialisée, non ? En réalité, il n’est tout simplement pas possible de revenir à une économie non mondialisée, même la Corée du Nord, probablement l’état-nation le plus fermé au monde, n’y parvient pas, et commerce avec l’extérieur, essentiellement la Chine. Aussi, à moins de sortir de l’économie tout court, et donc à moins que le Français ne veuille perdre son emploi, mettre à la casse sa voiture, se mettre à produire lui-même son électricité avec une éolienne faite avec des bouts de ficelle trouvés à la décharge du coin et cultiver des légumes dans son jardin (ce qui en ville va être très pratique), ce dont certains partisans de la décroissance seraient partisans mais dont je doute que la perspective plaise à l’électorat FN, il n’est donc pas possible de se refermer économiquement complètement sur soi-même.

Et je viens ici à l’essentiel. Dans une économie mondialisée où les firmes sont des multinationales, le niveau d’action de l’état-nation est une possibilité pour certaines réformes, mais pas pour d’autres, et notamment pas, notamment, pour réguler l’implantation ou la fiscalité de ces multinationales qui se fichent complètement des législations nationales dans la mesure où elles peuvent de toute façon aller déclarer leurs bénéfices ailleurs (idem pour les personnes privées). Le seul champ d’action possible pour réguler l’économie et sortir du néolibéralisme et des politiques d’austérité, au final, est donc le champ international. En d’autres termes, la nation, c’est beau, c’est bien, c’est normal d’y être attaché, quoique pas de manière psychorigide, mais pour résoudre des problèmes globaux comme la crise financière ou écologique, ce n’est clairement pas le niveau d’action le plus pertinent. C’est pour cela que Tsipras s’accroche autant qu’il le peut à l’Europe, et que voter FN ne sert à rien. Et ceux qui vous disent le contraire ont quelque chose à vous vendre, notamment une carrière politique.

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