« C’EST DIFFICILE, C’EST LA DÉMOCRATIE… », par François Leclerc

Billet invité.

Si les certitudes font défaut à propos de la Grèce, les inconnues ne manquent pas. Le 24 avril abandonné, le 11 mai est la nouvelle date butoir à laquelle l’Eurogroupe pourrait désormais aboutir à un accord avec le gouvernement grec, la veille d’un nouveau remboursement du FMI. Les négociations sont au point mort, les membres du gouvernement grec opposant un optimisme de façade à des dirigeants européens qui n’y croient plus et le font savoir, leurs calculs déjoués et leur intransigeance sans effet. La réforme du droit du travail et des retraites, l’augmentation de la TVA et le programme de privatisations restent des points de blocage, comme l’a confirmé Alexis Tsipras.

En révélant que Yanis Varoufakis serait venu lui demander à Washington des délais de paiement, qu’elle aurait refusés, Christine Lagarde a donné le ton. Un face à face s’est installé, dont nul ne sait combien de temps il peut durer, car personne n’a intérêt à en précipiter le dénouement. Côté grec, il est à nouveau demandé l’abandon de l’approche en deux temps imposée par les autorités européennes – d’abord l’extension du plan de sauvetage, puis ensuite la négociation d’un nouveau plan – et réclamé que les deux négociations soient fusionnées. Ce qui impliquerait de discuter dès maintenant du fond d’un problème qui reste éludé: le mystère du remboursement de la dette.

S’étant refusés à prendre en compte les propositions de Yanis Varoufakis, qui habilement n’impliquent aucune décote, les dirigeants européens veulent aborder cette future négociation sur la base de l’acceptation préalable de leur stratégie de désendettement, mais n’y parviennent pas. Ils persévèrent en dépit de résultats 2014 de la Grèce non conformes aux prévisions, le gouvernement précédent n’ayant pas atteint ses objectifs en termes de déficit public et d’excédent budgétaire primaire. Si la dette publique a bien diminué, passant de 319 milliards d’euros en 2013 à 317 milliards d’euros en 2014, elle a augmenté de 175 % à 177 % rapportée au PIB…

Mesure conservatoire destinée à ne pas tout déclencher, la BCE continue de régulièrement lever le plafond de l’aide d’urgence aux banques grecques, ayant depuis longtemps transgressé la règle qui lui interdit de financer des établissements dont la solvabilité n’est plus assurée. Le scénario d’un défaut grec sans sortie de l’euro prend de la consistance au fil d’un temps qui est compté mais que l’on ne sait pas mesurer. Il ne règlerait toutefois un problème que pour en créer un autre : les banques grecques devraient être recapitalisées par le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui exigerait des conditionnalités similaires à celles qui constituent aujourd’hui le cœur du désaccord. L’étude d’un tel scénario a été démentie à Bruxelles, ce qui ne mange pas de pain, mais cela ne fait rien avancer pour autant.

En Grèce, les rumeurs se multiplient à propos de la tenue d’élections législatives anticipées ou d’un référendum que le gouvernement grec pourrait décider, afin de renforcer sa position et la légitimité de son refus de toute capitulation. La perspective d’une érosion de l’appui dont bénéficie l’équipe au pouvoir ne se confirme pas dans les sondages, tandis que l’espoir d’un éclatement de Syriza ne prend pas corps. Les autorités européennes se sont donc remises à jouer à l’un de leurs jeux favoris, celui de la patate chaude, mais celle-ci devient de plus en plus brûlante. Et si les commentaires vont bon train sur l’absence de stratégie des dirigeants grecs, tout autant peut en être dit pour les européens, si ce n’est plus.

Le sort réservé à la Grèce contribue à la montée d’un sentiment anti-européen favorable à la sortie de l’euro, alimenté par les autorités européennes et que le contre-exemple supposé de l’Espagne ne vient pas contredire, bien que Wolfgang Schäuble y magnifie des réformes « très réussies ». À condition de ne pas y regarder de trop près, car la croissance avec laquelle le pays a renoué est fragile rendant la démonstration peu probante. Elle ne provient pas des exportations, comme préconisé, mais d’une hausse de la consommation interne favorisée par l’arrêt de la politique d’austérité en cette année électorale, la baisse du pétrole et de l’essence, et l’utilisation d’une épargne qui avait été prudemment mise de côté.

Cela n’a rien à voir avec la reprise vigoureuse dont se prévaut le gouvernement espagnol, mais correspond à un simple rattrapage dont la dynamique reste à se confirmer. Si le chômage a très légèrement diminué, touchant toujours un quart des actifs et un jeune sur deux, la qualité des emplois créés – temporaires ou partiels – relativise ce succès de façade. Les déséquilibres s’accentuent entre les régions et les couches de la société, fruit d’une croissance très mal distribuée. L’Association nationale des directeurs et gérants des services sociaux a publié son rapport annuel sur « l’état social de la nation », mettant en évidence une profonde fracture sociale qui ne se résorbe pas. Aucun des membres de 1,8 millions de familles n’a un emploi, ce qui représente un foyer sur dix. Deux millions d’espagnols connaissent la pénurie alimentaire et trois millions d’entre eux ne parviennent pas chauffer leur logement. L’exclusion s’est installée, et avec elle la montée du racisme, de la xénophobie et de l’incivisme, selon l’association dont les membres sont en étroite prise avec la réalité sociale.

Confrontés à l’échec de leur politique, dont ils tentent quand ils le peuvent d’atténuer les effets pour ne pas en subir la sanction, les dirigeants européens portent une double responsabilité écrasante : celle du recul programmé d’une construction européenne qu’ils ne savent plus faire progresser, ainsi que celle du développement d’inégalités structurelles qu’ils ne peuvent ignorer, mais dont ils estiment qu’elles sont un prix à payer. En retour, ils catalysent une crise politique chronique qui parcourt toute l’Europe, dont ne sont encore observés que les prémices.

Le mot de la fin revient à Wolfgang Schäuble, à l’occasion d’une conférence prononcée à Washington, où le FMI et la Banque mondiale tiennent leurs réunions de printemps annuelles. Se prévalant d’une amitié avec les ministres français Michel Sapin et Emmanuel Macron, il a assuré que « la France serait contente que quelqu’un force le parlement » à voter des réformes dures, en prenant comme exemple celles qui ont été accomplies en Espagne. Ajoutant : « …mais c’est difficile, c’est la démocratie », ce qui reste tout de même à démontrer à commencer par la Grèce.

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