Piqûre de rappel : La Troïka doit reconnaître de bonne grâce sa défaite (le 5 mai 2015)

Je vous propose en général en « Piqûre de rappel », un billet datant d’il y a quelques années. Mais l’histoire s’accélère : celui-ci date du mois dernier.

Le Monde : La « troïka » doit reconnaître de bonne grâce sa défaite

Le Fonds monétaire international avait dû admettre en octobre 2012, par la bouche d’Olivier Blanchard, son économiste en chef, que sa préconisation de l’austérité qui plonge depuis cinq ans la Grèce dans la misère, était fondée sur une erreur. Le chiffre utilisé pour le fameux multiplicateur budgétaire indiquant l’impact sur le Produit intérieur brut d’une nation d’une réduction du budget de l’État, était erroné. Faux d’ailleurs à ce point qu’il aurait dû conduire au rejet de la politique d’austérité en Europe et à adopter au contraire une relance de l’économie par la dépense publique.

Un chiffre inférieur à 1 du multiplicateur signifie que si l’État diminue ses dépenses d’un euro, le PIB baissera d’un montant moins important ; s’il est supérieur à 1, le PIB baissera de plus d’un euro. Le chiffre de 0,5 utilisé pour l’Europe en 2009 justifiait une politique d’austérité, alors que le chiffre réel, « significativement supérieur à 1 au début de la crise » (Blanchard & Leigh 2013 : 19), aurait encouragé une politique de relance. La Commission européenne et l’OCDE avaient elles aussi utilisé le chiffre erroné de 0,5.

Si le chiffre utilisé par le FMI était considéré de valeur 2 durant les décennies « keynésiennes » des années 1950 et 1960, les économistes néo-libéraux affirmèrent ensuite que la parfaite maîtrise du niveau des taux d’intérêt acquise par les banques centrales justifiait de le réduire à 0,5, la possibilité existant selon eux d’abaisser les taux d’intérêt de manière à compenser l’impact d’une réduction des dépenses de l’État sur le PIB. Lorsque la crise des subprimes fit plonger les taux de façon si drastique que le pouvoir d’action des banques centrales sur le niveau des taux d’intérêt s’évapora, ils oublièrent de tenir compte de ce nouvel élément, ce qui explique pourquoi le chiffre utilisé en 2009 était faux.

La Troïka est une chimère mais aussi un cerbère composé de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international, dont des émissaires porteurs d’instructions sont envoyés pour remettre de l’ordre dans les nations en crise de la zone euro.

Bien que ces institutions soient censées représenter les citoyens ordinaires dans leur sphère d’influence respective, elle sont prisonnières du dogme élitiste qui les fonde. Ainsi, aucune leçon n’a été tirée par le FMI du fait que soixante-cinq années de sa politique ont débouché sur la baisse du niveau de l’éducation et la baisse de l’espérance de vie dans les pays où elle a fait ingurgiter sa potion. Le principe sous-jacent de son action se résume en deux mots : « Vae victis », malheur aux vaincus du libéralisme.

La Troïka n’est pas seulement indifférente à la démonstration de ses erreurs par d’autres, elle s’est révélée à l’occasion de la bourde monumentale du FMI, également imperméable aux implications de l’autocritique dévastatrice de l’une de ses trois composantes.

Toute richesse nouvellement créée se voit redistribuée entre les salariés ayant contribué à la production par leur travail, les investisseurs qui ont consenti des avances en capital et les dirigeants d’entreprise ayant assuré la direction et la supervision. Mais aux yeux de la Troïka, la seule variable d’ajustement – à la baisse, bien entendu – est la rémunération du travail, au nom de la sacro-sainte « compétitivité », le terme utilisé dans son vocabulaire pour l’alignement des salaires de la zone euro sur ceux du Bangladesh.

La rémunération du capital et de la direction des affaires sont jugées quant à elles, incompressibles par définition et donc intangibles. En conséquence, dans les périodes de vaches maigres, c’est la partie de la population déjà réduite à la part congrue quand tout va bien, qui en fera seule les frais.

Mise en accusation par le Parlement européen, la Troïka n’en parade pas moins impudemment dans l’uniforme du TINA libéral : « There is no alternative ! ». Mais ses pieds sont d’argile et il suffit d’un « incident imprévu » : un peuple excédé par tant d’avanies, votant pour un parti qui refuse une telle oppression et qui devient le grain de sable permettant que soit remise en question cette religion féroce.

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Blanchard, Olivier & Leigh, Daniel, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper 13/1, janvier 2013, 42 pp.

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