Le brûlot de Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse : un avertissement salutaire, par Jean-Pierre Pagé

Billet invité.

« Hébétés, nous marchons vers le désastre ». Ainsi commence la tribune de Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse, publiée dans le JDD du 7 juin 2015, comme un coup de tonnerre dans le ciel orageux de la zone euro. La présence, à côté du « trublion » Arnaud Montebourg, du « banquier » Matthieu Pigasse oblige, cette fois-ci, à considérer et prendre au sérieux ce texte. Il mérite, en effet, beaucoup plus que le mépris que lui a témoigné Stéphane Le Foll, porte-parole du Gouvernement, sur France Inter le 8 juin

En effet, Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse ne font que répéter ce qu’expriment depuis longtemps déjà des économistes parmi les plus compétents et, de plus en plus, les grands organismes internationaux (FMI et OCDE, en tête). Il faudra bien admettre, un jour, que les autorités de la zone euro se sont laissé enfermer dans une problématique, quasi-suicidaire, connue sous l’acronyme de la « politique d’austérité ». Ce que décrivent – et qui fait tant de bruit – Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse ne sont jamais que les effets pervers et avérés de cette politique.

Si l’on veut être honnête, il faut bien reconnaître que ce que l’on qualifie d’effets positifs de cette politique est, en fait, un échec.

Prenons l’exemple de l’Espagne. Ce pays s’enorgueillit du retour à la croissance et est souvent cité dans les media comme exemplaire. Encore heureux que, après plusieurs années de chute du PIB, celle-ci ait connu une rémission et que la croissance reparte. Mais, à quel prix ? De combien de vies sacrifiées de jeunes espagnols, qui sont obligés de vivre chez leurs parents ou de s’expatrier et, malgré cela, sont frappés par un taux de chômage qui approche toujours de 50% en ce qui les concerne. Faut-il alors s’étonner du succès de « Podemos », héritier du mouvement des « indignés » suscité par notre concitoyen Stéphane Hessel ? Autre exemple : le cas de la Grèce. Certes, la Grèce n’est pas exempte de fautes commises dans le passé, on le sait, et a longtemps réussi à masquer les effets pervers d’un mode de développement factice au bénéfice des plus riches en maquillant ses comptes. Mais ce n’est pas une raison pour occulter les effets négatifs de la politique dictée par ses « créanciers » et qui n’a abouti qu’à appauvrir à l’extrême sa population. Dans ces conditions, il est normal que cette dernière ait porté au pouvoir le parti protestataire de Syriza. Encore faut-il reconnaître aussi la sagesse de cette population qui refuse la tentation du « Grexit », trop consciente des dégâts que celui-ci entrainerait, et celle du gouvernement mis en place par ce parti qui cherche à éviter la rupture avec ses partenaires de la zone euro.

Plus généralement, la conséquence de la faillite de la politique économique européenne est le succès des partis placés aux extrémités de l’échiquier, que ce soit à gauche dans les cas cités, ou, à droite dont on voit la montée, notamment dans notre pays.

Il est donc temps de dresser un bilan de cette politique d’austérité et de ses garde-fous factices. L’Europe donne l’impression de fonctionner avec un logiciel erroné sans s’en rendre compte. Remettre en question les principes qui guident actuellement les autorités économiques de la zone euro n’est pas une « folie », voire un « crime », comme n’hésitent pas à le proclamer certains défenseurs de l’orthodoxie en la matière. Ce que l’on peut reprocher à François Hollande est, non pas tant de n’avoir que résisté passivement à la pression de la majorité au pouvoir en Europe, en donnant l’impression de ne pas agir, mais, plutôt, de ne pas avoir osé porter ouvertement la contradiction à ses interlocuteurs, quitte à déplaire à nos amis allemands. En effet, il ne faut pas avoir peur de chagriner ces derniers en oubliant que leur gouvernement mène et impose une politique de « vieux » qui préserve les intérêts et les rentes des plus riches, souvent les plus âgés parmi ses assujettis, et n’hésite pas à sacrifier la vie des moins nantis, condamnés à des « mini-jobs », souvent payés au-dessous du SMIC.

Mais il faut le dire aussi, mener une politique plus audacieuse et efficace en Europe – ce qui est pourtant (oh combien !) nécessaire dans la perspective du salut de celle-ci – oblige à envisager des changements importants dans les pratiques et les moyens de la politique communautaire. Certes, ils peuvent paraitre se heurter à des obstacles insurmontables, mais il ne faut pas oublier que certains d’entre eux ont pourtant déjà été franchis comme l’instauration d’une forme, toutefois très insuffisante, notamment en ce qui concerne la nécessaire discipline requise en la matière, d’Union bancaire. Il s’agit, par exemple, on le sait, de la mise en place d’euro-obligations (permettant de mobiliser l’énorme épargne européenne, ce « tas d’or » sur lequel l’Europe est assise), ainsi que d’un véritable « budget fédéral », non pas alimenté par les ressources exsangues nationales, mais par des taxes fédérales, ceci permettant de financer les indispensables investissements publics dans les domaines des infrastructures et de la transition écologique. Cela soulagerait d’autant les budgets nationaux et faciliterait les allégements de la fiscalité sur les ménages destinés à relancer la demande que suggèrent Arnaud Montebourg et Matthieu Pigasse et qui ont monopolisé l’attention des media.

Les solutions à nos problèmes sont là. Encore faut-il vouloir les mettre en place, quitte à violer les réticences de certains pays, à commencer par nos amis allemands. Elles ne sont pas dans l’enfermement dans une politique d’austérité qui, sous couvert de « réformes structurelles », détricote, avec notre système de protection sociale, les fondements du consensus sur lequel s’est fondée la construction de « notre Europe ».

 

Jean-Pierre Pagé

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