Chroniques de la pêche à la baleine et de l’apiculteur, par Vincent Valançon

Billet invité.

Marcher c’est travailler, le 02 janvier

Le souvenir de mes premiers pas s’est dissout, le mouvement initié pour moi s’est transmis à mes enfants. Nous, parents, ne voulions pas qu’ils restent à quatre pattes. Parce que c’est comme ça. Eux, les enfants, levaient leurs bras vers le ciel pour atteindre la fusion qui ne viendra plus. Restera le plaisir du mouvement. Ils ont marché sans savoir ce qui les meut. Biomécanique, biotechnologie pour la performance ou pour remettre en marche, n’excluent pas ce plaisir.

Le cerf-volant, le 15 août

Couleurs vives et chaudes dans le ciel et le vent de la Baie de Somme. Plaqué sur le sable mais frétillant le cerf-volant est convoité par le petit garçon qui tient les fils du mouvement. Il court vers l’objet de couleurs pour l’avoir mais l’objet se dérobe. Le père est là aux prises avec son fils qui ne comprend pas ce plaisir du mouvement au vent dans le ciel. S’il se fâche contre le petit celui-ci se dérobera. Le père agit. Le cerf-volant flotte parce que le vent est là et son fils peut-être voudra en faire au moins autant au gré du temps. Ils ne sont pas des bêtes de somme.

Pas de crise de la vocation, le 02 frimaire

A 11 ans mon père faisait le commis de ferme pour son père métayer. La charrue après les bœufs et mon père derrière à tracer des sillons droits. Le labour c’est l’axiome d’Euclide un point c’est tout. Sortir du sillon c’est délirium. Le père du père posait les interdits du travail avec son corps d’homme et économie de discours. L’homme impressionnait. L’enfant a peur il exécute et ne pense pas à être propriétaire il veut uniquement jouir d’une même puissance. Il y a les bêtes dans la ferme. Il les aime elles se taisent il connait le nom de chacune. Une contrepartie d’enfance à la pesée d’une menace qu’il croit réelle. Ce père du père ne transmettra plus le travail : l’enfant a la vocation de la boucherie. La désertion de la campagne au profit du mirage de la virilité-richesse qui se montre et se raconte dans la personne même du maquignon-boucher qui vient au village acheter les bêtes de la ferme et celles des autres. Un choix de croyant en la puissance, celle qui engloutit le plaisir du mouvement, celle qui fige le temps dans une éternelle quête morbide. La poule-au-pot. Le bifteck dans l’assiette de tous. Pour une force collective employable.

Le travail du rêve, la nuit ?

Le rêveur au réveil se dit son rêve ne pouvant pas échapper à cette conscience inquiétante. Il est en costume. C’est bon, enfin, de retrouver le costume du consultant ! Il va déjeuner en compagnie d’un autre qu’il ne sait pas nommer. Est-ce un autre ou le même que lui ? Zone d’ombre. Surprise attendue il rencontre d’anciennes connaissances. Mieux, certains des potes de l’équipe de rugby, une autre famille. Et il est de nouveau en costume. Il est de nouveau un autre.

– « Comment vas-tu ? » dit l’un, déjoueur.
– « Très bien ! » réponse rituelle et appuyée. Le rêveur veut y croire, il y croit…
– « Et ta mère, elle va mieux ? » le déjoueur ne joue pas, il prend des nouvelles et parle sincèrement.
– Et lui, sans calculer qu’y croire ne tient plus : « Elle m’ennuie toujours, c’est terrible ça me poursuit. »
Et là le rêve est sadique avec le rêveur. Son rêve le tue. Ce matin va détruire tout espoir pour la journée d’être euphorique, intouchable, aimé des collègues, reconnu, de jouir de sa position. D’ailleurs, il vit dans le rêve. C’est vrai quoi ! cette mère qui n’est pas ce qu’elle aurait dû être pour que lui soit ce qu’il croit qu’il devrait être. (Et qu’elle aurait voulu qu’il fût sans savoir quoi). Et pourquoi pas un créateur ! un capitaine ! un tombeur ! la vérité incarnée ! La mère veille.

L’emploi, ça travaille !, le 1er mai

Une table pour deux dans une brasserie de la banlieue parisienne. Deux clients, rigolards et bavards, pas ivres de vin mais de bravades, complices, en miroir sans se voir. Pas de verbe symbole du mouvement absent. Ce qui les travaille, c’est l’emploi qu’ils n’ont pas. Pas de place. Ils sont comme sur une corde raide, jouant avec le déséquilibre comme des ouvriers qui rient de leur peur inavouée de conditions de travail dangereuses en ne se protégeant pas. Ils se vantent de ne pas avoir travaillé depuis longtemps. J’entends ces solitudes qui confinent à l’isolement. J’entends cette plainte dissimulée. Ils ont toujours cru prouver leurs performances mais l’institution ne les a pas homologuées. J’ai envie de leur parler du travail, comme d’une parole que nul autre ne porte sauf soi-même, que cette parole est enfouie, reniée, encagée dans des discours auxquels on veut croire pour ne pas sentir le vide. Mais elle existe et elle fait exister. C’est mon mouvement, mon travail.

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