L’Eurogroupe : « Ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est négociable », par Philippe Lamberts

Billet invité. Philippe Lamberts sur facebook.

Je reviens à l’instant de la salle de presse du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement de la zone Euro. Ils ont pris pour base de discussion les conclusions de leurs ministres des finances, un document de quatre pages.

A la lecture de celui-ci, je suis atterré. Sur le thème de « ce qui est à moi est à moi et ce qui est à toi est négociable », les ministres ont accepté les propositions grecques pour leur surajouter les exigences des plus radicaux parmi eux, menés par l’allemand Wolfgang Schäuble. Un florilège :

Pour mercredi 15 juillet (càd dans 3 jours ouvrables), le pays doit avoir adopté notamment (la liste n’est pas exhaustive) les réformes suivantes :

– révision et simplification de la TVA
– réforme des pensions
– réforme du code civil

Il devra dorénavant soumettre préalablement à la Troïka (revenue entretemps à Athènes) toute proposition de loi ayant un quelconque impact sur les finances publiques ou sur l’économie grecque.

Il devra transférer à un organisme basé à Luxembourg des actifs d’Etat d’une valeur de 50 milliards d’€, à liquider afin de rembourser les créanciers. Cet organisme sera géré par le gouvernement grec sous la supervision des créanciers.

II devra aussi accepter des coupes automatiques dans les dépenses en cas de non-respect des objectifs de budgétaire.

Le reste est à l’avenant. Mais si bien sûr la Grèce ne veut faire tout cela, est elle est libre de quitter l’Euro, ce qui lui permettra de restructurer sa dette.

De cette lecture, je tire la conclusion que l’Eurogroupe veut
– soit humilier le gouvernement grec, en le forçant à accepter un accord trois fois plus léonin que celui refusé à 61% par ses citoyens la semaine dernière.
– soit le forcer à prendre la responsabilité de sortir la Grèce de l’Euro.
Dans les deux cas, ma lecture est que les gouvernements de la pensée unique veulent éliminer un gêneur. Me vient en écho ce que me déclarait il y a quelques semaines Luc Coene, ex-gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, ex-chef de cabinet de Guy Verhofstadt : « Il faut sortir la Grèce de l’Euro pour donner une leçon aux autres ».

Avant d’être un écologiste, avant d’être un fédéraliste européen, je suis un démocrate. Le document de l’Eurogroupe est une insulte à la démocratie et donc à la première des valeurs fondamentales de l’Union Européenne. Il l’est triplement :

– parce qu’il veut que des réformes fondamentales à un Etat de droit – fiscalité, sécurité sociale, code civil – soient adoptées – qu’elles soient ou non justifiées n’est pas la question – hors de toute procédure démocratique digne de ce nom;
– parce qu’il prétend soumettre un gouvernement élu à une tutelle absolue;
– mais surtout parce qu’il refuse l’idée qu’il existe une alternative à sa propre idéologie et veut écraser dans l’œuf toute manifestation d’une telle alternative.

Les travaux se poursuivant, il n’est pas (encore) certain que les chefs d’Etat et de gouvernement suivront leurs ministres des finances dans leur folie idéologiquement motivée. Et j’espère que la raison prévaudra.

Mais le mal est fait : le simple fait que qu’un tel document existe renforce Marine Le Pen, Nigel Farage et leurs émules partout en Europe. Ces irresponsables politiques n’ont toujours pas compris que l’Europe se fera avec les citoyens, pas contre eux; si comme Einstein le disait, la folie consiste à faire et refaire la même chose en espérant un résultat différent, les ministres des finances de l’Eurozone sont bel et bien fous. Qui nous protègera d’eux? Seuls les chefs d’Etat et de Gouvernement leur peuvent encore.

http://www.reuters.com/…/us-eurozone-greece-conditions-draf…

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