LA FRACTURE POLITIQUE, par François Leclerc

Billet invité.

Se combinant avec la détérioration de la situation économique qui se poursuit, une profonde crise politique s’annonce en Grèce. Donné vainqueur des élections du 20 septembre prochain, Alexis Tsipras ne l’est plus à coup sûr, au fil des sondages qui voient le score de Syriza diminuer et même Nouvelle Démocratie le devancer marginalement. Sur le papier, une coalition entre les deux partis devient la seule solution gouvernementale envisageable, mais cette perspective a été réfutée par Alexis Tsipras et sa viabilité fait en tout état de cause problème.

L’Eurogroupe du 12 septembre pourrait décider de repousser à novembre le premier examen de l’application de l’accord signé avec le gouvernement, afin qu’il n’intervienne pas en pleine crise politique, donnant toutefois bien peu de temps pour la résoudre ! Il doit aussi décider quelles mesures en feront l’objet, avant de débloquer une nouvelle tranche d’aide financière. Les questions les plus délicates pourraient être repoussées à plus tard, la tranche divisée en deux sous-tranches… Cela commence bien !

Un nouveau remboursement du FMI est en jeu, alors que va devoir s’engager une discussion à propos de la dette, et que le Fonds monétaire va devoir décider s’il participe ou non au financement d’un plan de sauvetage de trois ans qui donne déjà l’impression de ne pas pouvoir être mené à son terme. Sans attendre, Evangelos Meimarakis, le nouveau leader de Nouvelle Démocratie a déjà annoncé sa renégociation !

Syriza se désagrège et la cote personnelle d’Alexis Tsipras diminue, le sentiment le plus répandu étant que ces élections sont de trop et qu’il aurait mieux valu éviter de les convoquer. Les créanciers voulaient la chute de Syriza et sont en passe de l’obtenir alors qu’ils ne la souhaitent plus si rapidement, et cela augure mal de la formation d’un gouvernement stable en mesure d’appliquer le nouveau plan. Comment une coalition – si elle voyait le jour – pourrait résister aux coupes budgétaires automatiques prévues dans l’accord en cas de dérapage par rapport aux objectifs ?

Une discussion s’est engagée : fallait-il ou non que les Grecs acceptent de signer les accords initiaux de février, à la lumière du désastre actuel ? Il n’est pas inutile de se souvenir des tous premiers temps et de la recherche de soutiens effrénée de Tsipras et Varoufakis : leur choix reposait sur l’espoir d’améliorer un rapport de force européen qui les écrasait, comment leur faire porter la responsabilité de ne pas y être parvenus ? Le gouvernement grec s’est trouvé isolé et n’avait plus qu’à reculer dans l’ordre, signant un accord tout en déclarant qu’il n’y croyait pas, dans l’intention de préparer le coup d’après. La dynamique, comme on le constate, n’a pas été enrayée.

Peut-on penser que, dans la situation d’isolement où il était, quitter l’euro « sur la gauche » comme on entend désormais dire aurait été un facteur d’entraînement en Europe, lui apportant à un autre niveau les soutiens qui lui ont tant fait défaut ? Son isolement n’aurait-il pas au contraire condamné la tentative, et la démonstration en résultant ne se serait-elle pas révélée pire que l’actuelle ? De telles questions, ainsi que d’autres, ne peuvent trouver leur réponse qu’une fois posé que la crise européenne est promise à durer, et qu’elle va encore gagner en maturité.

En dépit du programme de la BCE, les pressions déflationnistes ne faiblissent pas, et les perspectives de croissance s’amenuisent. Les dirigeants européens sont entrés dans un débat sur le renforcement de la gouvernance dont ils ne savent pas comment sortir, ne voyant que ce moyen pour poursuivre en l’accommodant la politique récessive qu’ils ont engagée. Encouragés, les partisans des « réformes structurelles » se sentent pousser des ailes, décidés à marquer des points, y compris contre leur propre camp quand cela aboutit à une détérioration de la situation sociale. Ils sont de ce point de vue leurs pires ennemis !

L’accueil réservé aux réfugiés en détresse offre un nouveau spectacle de l’incurie dont ont fait preuve les plus hautes autorités européennes, ne réagissant que sous la pression de l’opinion publique et cherchant à stopper l’exode aux frontières de l’Europe pour réduire leur accueil. Un jugement moral n’est pas interdit, il est assurément politique : ces dirigeants n’ont que le mot confiance à la bouche, en référence à un marché désincarné, mais elles en sont de plus en plus démunies. À la fracture sociale s’additionne la fracture politique.

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