CROISSANCE, VOUS AVEZ DIT CROISSANCE ? par François Leclerc

Billet invité.

Où est passé le moteur de la croissance ? Dans une économie mondialisée, les analystes avaient cru le trouver dans les pays émergents et pouvoir s’appuyer sur des valeurs asiatiques sures. Mais un atterrissage chinois qui se confirme brutal et une stagnation dont le Japon ne sort toujours pas, ne leur donne pas raison. Pis, la chute de la croissance chinoise entraîne celle des pays exportateurs de matières premières et accentue les pressions déflationnistes en Europe et aux États-Unis. La mondialisation propage désormais le ralentissement économique au lieu de favoriser la croissance, et le développement du commerce international n’en est plus le vecteur.

L’économie va mal et la finance ne se porte pas bien, sans que ces mêmes analystes comprennent pourquoi. Elle est atteinte de deux syndromes mystérieux dénommés volatilité et liquidité, soumise alternativement à des mouvements d’ampleur inconsidérés et à des rigidités faisant obstacle au bon fonctionnement du marché : les acheteurs ne trouvent pas vendeurs et réciproquement. Circonstance aggravante, ces deux maux dont les effets pourraient frapper l’économie et créer une boucle rétroactive semblent installés pour longtemps. De temps en temps, le sujet de la régulation financière refait surface, mais le cœur n’y est plus. Celle-ci laisse inexplorés des pans entiers du système et, quand elle se penche sur un sujet aussi pointu que la norme comptable IFRS 9, qui définit les règles de classification et de valorisation des instruments financiers – élément-clé de la réglementation de renforcement des banques – elle aboutit à un document dont la complexité illustre un pari perdu par avance.

Les banques centrales chinoise, japonaise et européenne s’interrogent sur l’opportunité de nouvelles interventions monétaires afin de stabiliser la situation, mais en s’y résolvant elles accroîtront encore les masses de liquidités dont elles ne maîtrisent pas les violents soubresauts. A l’inverse, la Fed conserve l’intention de revenir en arrière tout en craignant les effets d’une décision dont le FMI voudrait la dissuader.

Ne pouvant plus attendre de la mondialisation le retour de la croissance, il ne reste plus qu’une dernière carte à jouer dans le court terme : celle de la dévaluation compétitive. Elle peut trouver dans la dévaluation salariale son complément et la réforme du droit du travail y apporter sa contribution. Plus une guerre de tranchées que suite d’offensives fulgurantes, la guerre des monnaies n’en continue pas moins. Mais, à la différence de la mondialisation qui était censée profiter à tous, elle ne peut pas faire d’eux tous des gagnants et ne relance pas la machine.

Les dirigeants tentent de faire bonne figure. Au G20, ils appellent chacun d’entre eux à « calibrer et communiquer soigneusement leurs actions », faute d’une insaisissable politique commune. Ils laissent intacte la menace que représente un monde financier hypertrophié, se défaussant sur des banques centrales elles-mêmes dépassées par les évènements. Comme la mondialisation, la gouvernance mondiale n’est plus ce qu’elle était.

À terme, va-t-il cependant être possible de relancer la croissance, et comment ? Sinon, comment s’y adapter ? Le débat à ce sujet ne se pose plus dans les termes précédents, opposants les « croissantistes » et les « décroissantistes » qui faisaient de ce choix l’objet d’une décision politique et de visions antagoniques de l’avenir du monde. Il est maintenant pressenti que la croissance va rester atone pendant une longue période et chez les esprits les plus éclairés, la tendance est de ne pas y voir de causes conjoncturelles. La principale interrogation porte sur les gains de productivité et de croissance de l’innovation technologique. Vont-ils ou non se matérialiser suffisamment ? Rien n’est moins certain, car cette innovation a comme principale caractéristique de créer peu d’emplois et d’en supprimer beaucoup, influant sur l’emploi, les revenus… et la consommation, moteur principal de la croissance. Non seulement en raison des progrès de l’intelligence artificielle et de la robotisation d’activités de plus en plus nombreuses, mais aussi à cause des amorces de développement de l’économie collaborative.

Celle-ci a de multiples faces. Elle suscite de nouveaux business en rupture avec des activités qu’elle menace – sans créer d’emplois – bouscule les situations acquises, met en cause les réglementations et contribue à la précarisation. Dans un même mouvement, elle adapte la société au processus de paupérisation relatif qui y est engagé, tout en exprimant un besoin de renforcement du lien social. Signe qu’il va falloir franchir des barrières, le thème du revenu universel est de plus en plus partagé, dans toute son ambivalence : expression d’un désir d’affranchissement, il représente aussi un filet de sécurité répondant à l’élargissement de la fracture sociale et à la précarité grandissante de l’emploi, destiné en fin de compte à contenir les explosions.

Les mots, parfois, sont des refuges trompeurs.

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