Prêts toxiques : le bruit de bottes, par Marc Le Son

Billet invité

Porté par six députés socialistes, une proposition d’amendement n° I-CF1 au projet de loi de finances pour 2016 vient d’être adoptée par la Commission des Finances le 07/10/2015 :

Par exception aux dispositions de l’article L313-3 du code de la consommation, le taux d’usure applicable aux nouveaux emprunts et contrats/instruments financiers consentis est le taux effectif global qui était applicable à la date à laquelle le prêt ou le contrat financier faisant l’objet de la renégociation a été initialement consenti.

L’exposé sommaire est ainsi présenté :

Le III permet aux collectivités qui choisissent de sortir des emprunts toxiques de moins se ré-endetter lorsqu’elles bénéficient du fonds. Les collectivités sont tenues de le faire car elles versent immédiatement une indemnité de remboursement anticipée aux banques alors que le fonds est versé sur 14 ans. Cette soulte est fonction de l’écart entre la valeur anticipée des prêts quittés et les conditions de marché auxquelles la banque prête aujourd’hui. De ce fait, il est retenu la base des financements au taux d’usure actuel soit 3,7 %, taux extrêmement faible sans commune mesure avec les taux en vigueur au moment où les prêts toxiques ont été contractés. Le présent amendement permet de considérer le taux d’usure du contrat d’origine. Cette disposition correspond à la doctrine du fonds de soutien au titre du dispositif dérogatoire dudit fonds (troisième phrase de l’alinéa 2 de l’article de loi susvisé).

Et l’un des députés à l’origine de cet amendement de préciser à ladite Commission :

« Le taux usuraire est aujourd’hui de 3,4 %, ce qui est sans commune mesure avec le taux en vigueur lorsque les prêts ont été contractés : avec cet amendement, on pourrait refinancer en considérant le taux d’usure en vigueur lorsque le contrat d’origine a été signé – en général, aux alentours de 5 %. Cela permettrait d’étaler la charge, et de ne pas réemprunter, ou presque pas. Les collectivités seraient ainsi soulagées ».

Pense t’on vraiment que les collectivités serait « soulagées » de payer des intérêts à 5% plutôt qu’à 3,4% au motif que l’IRA dissimulée dans ce taux permettrait à l’emprunteur de ne pas la financer par un prêt spécifique ?

Ce projet méconnait la nature juridique du principe indemnitaire :

  1. En droit, une indemnité répond à la réparation d’un préjudice, qui doit être actuel et certain.

Si le caractère certain du préjudice bénéficie de beaucoup de bienveillance, il reste que son caractère actuel ne supporte aucune imprécision.

À rebours de ce que pose l’exposé sommaire de cette proposition d’amendement, ce n’est pas la valeur anticipée des prêts quittés qui peut servir de base à la fixation d’une IRA, c’est-à-dire une simple évaluation financière qui sera démentie par les faits à un moment où à un autre, mais la valeur prise par le taux le jour où l’incident contractuel intervient.

Le terme d’un prêt étant réputé stipulé dans l’intérêt commun des parties, l’indemnité vise à rétablir l’équilibre d’un contrat perturbé par un remboursement anticipé et c’est parce qu’elle correspond au règlement d’avance des intérêts encore à courir que l’IRA ne peut en aucune manière excéder le capital restant du.

une fois de plus et pour son meilleur profit, la finance entend prévaloir sur le droit et présente le chainon manquant du nouveau marché de dupes relevé dès octobre 2013 : l’exécution sommaire de la législation sur l’usure pour éviter le cantonnement d’indemnités indues évoquées ici ou ailleurs mais jamais vérifiées.

Il s’agit pourtant d’une opération de camouflage de l’indemnité de remboursement anticipé puisque c’est la majoration du taux de marché qui règlerait cette IRA au montant réel partiellement dissimulé.

  1. Une IRA sert au calcul du TEG pour vérifier que le seuil de l’usure n’est pas dépassé.

La Cour de Cassation s’est déjà prononcée sur ce point le 27/02/2007 pour la Commune de Roubaix et le TEG d’un prêt ne peut en aucune manière excéder le seuil de l’usure, disposition d’ordre public

On rappellera que le TEG a pour double objet de définir l’usure, puisque c’est la moyenne des TEG pratiqués au cours du trimestre précédant le prêt qui en fixe le seuil (Article L.313-5 du CMF) et de vérifier ensuite que celui du crédit considéré n’excède pas la limite prohibée.

Comment alors ne pas voir, en page 103 du rapport n° 3110 déposé à la Présidence de l’Assemblée Nationale le 08/10/2015, le cas de l’hôpital du Nord-Essonne dont l’indemnité de remboursement anticipée s’élèverait à 35 millions d’euros soit près de trois fois sa dette actuelle de 12,8 millions ?

Imaginerait-on qu’un crédit refinançant cet encours de 12,8 M€ avec une charge de 35 M€ de refinancement (IRA) n’excèderait pas le seuil actuel de l’usure (3,36% à compter du 01/10/2015 pour les prêts à taux fixe de plus de deux ans) ? Avec un prêt à 0,00% sur 20 ans, on obtiendrait un TEG de l’ordre de 18% et pour que ce TEG soit ramené au seuil de l’usure il faudrait une durée de 111 ans !

En étendant le seuil de l’usure on détruit corrélativement la limitation des IRA, et si on sauve le fonds de soutien on présente à d’autres que Dexia et ses comparses la majoration de facture de leur naufrage.

On le voit, prétendre que les banques, l’Etat et les collectivités seraient tous gagnants à une mesure de libération du taux d’usure, c’est oublier encore le contribuable, souvent à la fois national et local, qui supporterait des IRA majorées si cet amendement à ce point irresponsable qu’il en est indécent n’encourait pas la censure qu’il mérite.

Le député Charles de Courson précisait lors des débats devant la Commission (page 105 du rapport 3110) :

« Cette affaire, du point de vue de la régulation, est épouvantable… »

Le jour où l’on aboutit à une société déresponsabilisée, c’est la dictature qui s’instaure »

C’est vrai que dormir sans rien vérifier c’est accepter d’être réveillé par un bruit de bottes…

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