Taxer le crédit pour capitaliser le travail réel, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Le ralentissement général actuel de la croissance mondiale alors que la dette mondiale continue d’enfler hors de tout contrôle réaliste, nous assure d’une catastrophe humaine planétaire. Même si les banques centrales prêtent aux banques gratuitement, l’insolvabilité des États, des banques, des entreprises et d’une fraction croissante des populations de consommateurs, rend de plus en plus probable la faillite d’une institution systémique. Les débiteurs des banques sont toujours plus nombreux à ne plus avoir accès à la liquidité monétaire à cause du doute massif sur leur capacité réelle à rembourser leurs dettes actuelles. L’économie réelle est en train de se figer dans le monde entier faute de liquidités suffisantes pour évaluer et régler les prix de ce qui est produit.

Cette situation n’est pas la conséquence d’une crise passagère qui trouvera mécaniquement sa solution avec un peu de temps et de patience. La dette mondiale a dépassé en temps de paix le niveau qu’elle avait atteint en proportion de la production à la fin des deux guerres mondiales. Le système-même, en l’occurrence celui de la circulation incontrôlée et incontrôlable des reconnaissances de dette en dollar dans le monde entier, détruit plus de valeur qu’il n’en produit. Les États-Unis d’abord avec le dollar de Bretton Woods, puis l’Europe avec l’euro se sont donnés le pouvoir d’émettre de la monnaie contre des titres bancaires de dette dont la contrepartie réelle n’est pas vérifiable ni objectivement mesurable.

Ce régime monétaire international est selon le mot du Secrétaire américain au Trésor de Richard Nixon, John Connally, celui du benign neglect : « notre monnaie est votre problème ». Les banques centrales qui le peuvent émettent toute la monnaie qu’elles veulent au mépris de la sécurité des déposants qui accumulent de l’épargne dans les banques privées afin de s’assurer de leur avenir. Cette asymétrie entre puissances impériales emettrices de monnaie de réserve internationale et la multitude des acteurs nationaux de l’économie réelle donne un pouvoir illimité d’emprunt aux intérêts politiques et financiers contre l’obligation faite aux citoyens de rembourser toutes les pertes bancaires par leurs impôts.

Le vice de la négligence bénigne est qu’elle rend impossible de taxer les dettes sur toute la surface du globe terrestre. La dette est librement émise par les banques hors de la mesure objective des revenus de l’investissement par la production réelle. Plus de dettes, est la solution universelle à toute insuffisance de la croissance par rapport au niveau des taux d’intérêt. La rémunération à tout prix de la dette, qui ne finance pas nécessairement la production réelle, est l’alpha et l’oméga de toute politique économique dans le pseudo-système de la libre circulation monétaire du capital. Le pouvoir politique ne prend aucune responsabilité dans la discrimination du collatéral de la dette émise par les banques entre le réel productif et le virtuel spéculatif.

Que signifierait taxer les dettes ? En substance, le résultat d’une taxation efficace serait de rendre impossible la comptabilisation bancaire d’une dette sans l’assurance et la garantie du prix réel actualisé équivalent des biens et services à livrer dans le futur. Une banque de crédit ne devrait jamais pouvoir inscrire un dépôt au nom d’un quelconque épargnant sur des titres de créance ou de capital qu’elle aurait émis elle-même sous la garantie de son propre capital ou celui de ses créanciers. La valorisation d’un titre en vue d’émettre de la liquidité bancaire au bénéfice d’un déposant qui le met en pension, devrait être totalement indépendante de la gestion de l’investissement sous-jacent au titre. Celui qui utilise la liquidité monétaire à l’actif d’une entreprise ou d’une administration publique ne devrait avoir aucun intérêt commun ou connexe avec celui qui immobilise son épargne au profit d’un actionnaire responsable du choix et de la bonne gestion des investissements.

Un créancier en monnaie déposant sa liquidité dans une banque, a un titre de créance sur une société politique toute entière. Par la réalité de la Loi, la zone monétaire toute entière où un déposant agit selon ses droits de propriété est débitrice de ce déposant. Le garant du pouvoir d’achat d’un déposant en contreparties réelles de la monnaie n’est pas une banque ou des entreprises en particulier mais une société politique par son gouvernement. Si la garantie du pouvoir d’achat unitaire de la monnaie est laissée aux banques ou à la banque centrale, l’évaluation des droits réels contenus actuellement dans les dépôts et l’anticipation du prix des actifs, réels ou fictifs, financés par les dépôts, sont confondus dans les mêmes intérêts alors qu’ils sont opposés. Comment une banque présente dans plusieurs zones monétaires nominalement soumise à plusieurs souverainetés politiques fait-elle pour équilibrer ses comptes quand elle craint d’avoir trop de pertes de crédit par rapport à son capital ? Elle comptabilise des actifs fictifs ! Pourquoi se l’interdirait-elle quand les États souverains n’ont aucune norme commune ni aucune responsabilité partagée de distinction entre vraie valeur et non-valeur ?

Un système rationnel et efficient de taxation des dettes a pour principe premier de ne pas confondre la fonction d’interprétation de la loi dans la virtualité réalisable des biens et services, et la fonction d’estimation du prix à terme des biens et services réellement mis en production. La discussion et l’exécution des lois posant la réalité des biens est une fonction politique d’intérêt général. L’interprétation des lois politiques dans les biens et services effectivement livrés ou à livrer est une fonction judiciaire générale souveraine. Seule l’attribution d’un prix nominal d’offre ou d’un prix réel de règlement en signes monétaires à un actif particulier peut être légitimement pris en charge par une banque et les intérêts particuliers qui la dirigent.

La réalisation du droit des gens n’est plus à la disposition des banquiers et des déposants particuliers, si et seulement si la puissance publique dispose de son propre capital intouchable par des intérêts particuliers bancarisés. Pour que les pertes de crédit bancaire ne soient en aucun cas compensées par le capital commun de la souveraineté politique, il faut que les États souverains dépositaires des lois nationales et internationales aient une bancarité propre intangible par de quelconques intérêts privés, y compris les intérêts particuliers des dirigeants politiques et bancaires. Donc les banques centrales doivent avoir un capital entièrement détenu et effectivement contrôlé par un État souverain ou des sociétés contractuellement constituées d’États souverains.

Taxer les dettes par une mesure réaliste de l’activité économique réelle impose au minimum de revenir au système politique institutionnel de Bretton Woods où le crédit et les réserves de change sont surveillés par une organisation d’États et non par des banques privées. Mais le système de Bretton Woods étalonné par un métal or non réellement mesurable ni effectivement déposé au nom des gouvernements, a failli faute d’une véritable compensation par des transferts réels de propriété publique des erreurs de politique fiscale, économique et monétaire. Il est maintenant avéré que les organisations internationales publiques de régulation de la monnaie sont radicalement inopérantes sans disposition d’un pouvoir souverain de compensation économique des politiques nationales par des transferts de réserves de change. La souveraineté monétaire qui garantit le pouvoir d’achat universel équitable des monnaies ne peut pas ne pas être partagée dans un monde unifié où les personnes, les services et les biens passent librement d’un espace politique à l’autre.

La souveraineté monétaire partagée signifie que la loi commune publique est la garantie de toute dette même internationale. Un intérêt particulier, même d’une nation toute entière, ne peut plus être la preuve ultime de la réalité d’une dette. La souveraineté monétaire partagée est substantiellement constituée par un État de droit multinational disposant de ressources fiscales propres dont la finalité et l’unique usage sont la garantie des dettes publiques et bancaires internationales. Quand une dette d’État devient disproportionnée à la production de la zone monétaire qu’il contrôle, la monnaie de l’État doit être dévaluée en monnaie internationale afin qu’une compétitivité internationale accrue de la production domestique vienne diminuer le prix nominal international de ce que le marché domestique se doit à lui-même.

Une fiscalité financière interétatique serait prélevée sur les flux financiers interbancaires en fonction du motif réel vérifiable des paiements. La fiscalité financière de garantie multinationale des dettes serait prélevée sur les primes de change que les banques se règlent actuellement sur leurs positions de change dans les différentes monnaies où elles prêtent et empruntent. Au lieu d’accroître exclusivement le capital privé des banques, les primes de change seraient partiellement capitalisées dans des banques centrales multinationales publiques. Les banques centrales multinationales réinvestiraient leur capital fiscal dans le rachat des primes de crédit des États, en fonction de la conformité de leur politique domestique aux normes internationales de solvabilité publiquement négociées et vérifiées. Ainsi les parités de change ne sont plus un équilibre imprévisible d’aléas moraux mais une politique internationale délibérable de proportionnalisation des dettes aux réalités économiques.

La fiscalité financière interétatique est un système international de garantie publique des dettes par la loi commune universelle à tous les intérêts particuliers. Elle implique concrètement le traçage international public de la circulation monétaire du capital selon tous les motifs licites possibles de paiement ou de transfert légal. Elle implique évidemment le règlement à la source systématique du provisionnement fiscal de toute dette issue d’un écart entre le paiement en monnaie et le prix réel d’un bien ou service livré. La fiscalité financière internationale signifie donc que chaque État national se dote d’un système de dépôt juridique de tous les biens et services engagés dans les contrats donnant lieu à un quelconque paiement en monnaie. D’où il découle que toute dette publique nationale est juridiquement la capitalisation de toutes les dépenses publiques engagées pour garantir la réalité légale des droits déposés dans les banques en monnaie nationale.

Taxer les dettes signifie que la monnaie ne libère d’une dette qu’à la condition de la livraison effective d’un bien ou d’un service au prix réel du montant nominal remboursé. Le prix réel n’est pas celui que comptabilise un banquier mais celui qui résulte de l’équilibre instantané de l’offre et de la demande d’un bien légal déposé dans un marché public. Un marché où tous les intérêts en négociation sont rattachés à des personnes identifiées intégralement responsables de leurs dettes par leur travail vérifiable. Dans un tel marché réel, le capital qui garantit une dette n’est pas produit ex nihilo par une mécanique comptable. Le capital est l’engagement d’une réalité visible, vérifiable par une société politique, confiée à des personnes identifiées et incarnées. Les personnes physiques solidaires par le capital d’une même personne morale sont matériellement responsables de la transformation du nominal actuel, comptabilisé comme dette, en réel futur.

La croissance explosive des dettes dans le régime de la circulation bancaire libre du capital est la conséquence directe et immédiate de l’anéantissement systémique de la responsabilité des États dans l’émission réelle de la monnaie. Aucune loi concrètement appliquée par des intérêts économiques réels égaux en droit ne vient corroborer la comptabilité des banquiers. La fiscalité, qui est la seule garantie universelle en dernier recours des dettes officiellement dues, s’applique arbitrairement en toute iniquité aux seuls actifs matériels visibles telles que les usines, les bureaux et l’immobilier, alors que le capital financier de plus en plus adossé à de fausses dettes s’accumule fictivement et invisiblement à l’abri de toute imposition.

La fiscalité financière est un système d’assurance publique de convertibilité de la réalité financière en réalité économique humaine. La fiscalité est le financement de l’économie par la Loi. Et la monnaie n’a jamais été qu’une titrisation universelle publique du prix des biens et services produits dans les sociétés politiques. La dette mondiale comptabilisée dans les banques ne reviendra pas dans une proportionnalité raisonnable par rapport à la production humaine réelle tant que la loi souveraine des nations ne sera pas rétablie sur l’émission du crédit et de la monnaie. Il faut donc que les États nationaux s’adossent à des sociétés politiques internationales dont la fonction soit de compter le capital public en monnaie internationale nécessaire à l’assurance par la Justice de toutes les dettes en monnaies nationales.

Or l’abandon de Bretton Woods a suscité l’amorce du premier État financier international : l’Union Européenne couvre une zone de monnaie unique multinationale. L’Union Européenne peut devenir un État réel de souveraineté financière multinationale :
1) en se dotant d’un gouvernement financier responsable devant un parlement de la zone euro représentant les citoyens européens,
2) en déclarant l’inconvertibilité de l’euro en dollar en dehors du système européen unique de paiement (SEPA),
3) en implémentant une fiscalité interbancaire à la source selon les motifs de règlement déclarés par les payeurs, les intermédiaires et les bénéficiaires,
4) en instaurant des parités nationales variables de l’euro matérialisées par des primes de change fiscal proportionnelles à l’évaluation politique fédérale de la solvabilité des États nationaux,
5) en accordant une personnalité morale financière à tout emprunteur en euro y compris aux États nationaux et fédéral afin de responsabiliser tout utilisateur de l’euro en bien européen commun légal,
6) en interdisant tout contrôle d’un capital bancaire en euro par une personne morale non physiquement représentée par des personnes soumises à la fiscalité européenne,
7) en identifiant dans un état civil public européen toute personne physique ou morale créancière ou débitrice en euro dans un droit national déposé officiellement dans la loi européenne.

La politique de démocratie économique est la condition sine qua non de toute croissance réelle de la civilisation. Pour le moment, notre système politique d’irresponsabilité financière nationale et internationale nous entraîne avec certitude dans la misère et la barbarie.

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