SCHENGEN, CHRONIQUE D’UNE MORT ANNONCÉE, par François Leclerc

Billet invité.

De deux à trois milliers de réfugiés continuent tous les jours d’aborder les îles grecques. Leur nombre ne diminue que lorsque le vent se lève, rendant la mer impraticable. Banalisées à force de se répéter, les noyades continuent, la traversée s’apparentant à une loterie avec la mort. Ce qui a suscité comme unique commentaire de Frans Timmermans, le vice-président de la Commission en visite à Ankara, que ce flux est « beaucoup trop élevé », manifestant ainsi ses préoccupations et préférant ignorer que 39 réfugiés n’avaient pas tiré le bon numéro ces sept derniers jours.

Pour toute réponse, l’agence Frontex annonce un renforcement progressif de ses moyens avec l’envoi d’un contingent de 400 garde-frontières en Grèce, où ils vont prioritairement se consacrer à l’enregistrement des réfugiés. Quinze bateaux supplémentaires devraient également patrouiller en mer Égée, mais ces renforts sont très en deçà des demandes du gouvernement grec. La police turque a pour sa part apporté sa notable contribution à la lutte contre les passages clandestins… en démantelant à Izmir un atelier de fabrication de gilets de sauvetage présentés comme ne répondant pas aux normes de sécurité, où travaillaient quatre personnes dont deux réfugiés syriens. Volcan Bozkir, le ministre des affaires étrangères turc, a une nouvelle fois promis à Frans Timmermans que le gouvernement allait donner aux Syriens des permis de travail pour « réduire la pression de l’immigration illégale », ce qui ne s’est jusqu’à maintenant jamais concrétisé.

Voilà pour les faits, les discours ne manquant pas à l’accoutumée. Frans Timmermans a dressé dans le jargon communautaire habituel un bilan mitigé de la coopération avec la Turquie : « Il est très clair que ces dernières semaines les chiffres sont restés relativement élevés, donc il reste encore beaucoup de travail ». L’Union européenne est selon lui « loin d’être satisfaite » à propos du « ralentissement des flux migratoires » qu’elle en attend. Et il n’y a pas de plan B, peut-on ajouter !

A propos des contrôles aux frontières nationales à l’intérieur de Schengen, le commissaire aux migrations Dimitris Avromopoulos a déclaré après leur rétablissement par la Suède et le Danemark  : « nous sommes convenus de les maintenir à leur niveau minimum et de revenir à la normale aussi vite que possible », alors qu’en sous-main il est question de rallonger à deux ans la durée possible de ces « mesures exceptionnelles », entérinant un maintien prévisible. Le commissaire n’a pas manqué d’ajouter que « nous sommes tous convenus que Schengen et la libre circulation devaient être sauvegardés » alors que c’est le contraire qui venait d’être décidé. En réalité, Schengen meurt mais personne ne veut en convenir.

Dans ce contexte, comment la politique d’ouverture aux réfugiés d’Angela Merkel pourra-t-elle être maintenue ? Pour tenir compte de l’émoi crée par les violences contre des femmes la nuit du Nouvel An, la chancelière donne des gages en annonçant un durcissement du régime d’expulsion des réfugiés condamnés en justice, sans cependant plier sur l’essentiel. Mais la répartition des réfugiés entre les pays européens n’avance toujours pas, condamnant l’Allemagne a continuer d’accueillir l’essentiel des réfugiés à un rythme élevé.

La soudaine arrivée de plus d’un million d’entre eux crée déjà des situations attisant méfiance et incidents, dont l’extrême-droite et le nouveau parti euro-sceptique AfD (Alternative für Deutschland) s’emparent, dans la perspective de trois nouvelles élections régionales en mars prochain. Horst Seehofer, patron de la CSU et allié bavarois de la CDU, a fixé à 200.000 par an le nombre maximum de réfugiés que l’Allemagne pourrait accueillir, tandis qu’Angela Merkel se refuse toujours à le plafonner. C’est en Allemagne que se joue la suite.

Le bilan provisoire d’une année de crise des réfugiés est affligeant. Non seulement une Union européenne forte de 500 millions de citoyens s’avère incapable d’accueillir plusieurs millions de réfugiés de guerre, mais le repli derrière leurs frontières d’un nombre grandissant de pays de l’espace Schengen vide progressivement celui-ci de son sens, signant un retour en arrière sans précédent.

Qu’ils ne viennent plus nous faire de grands discours sur l’Europe, ils sont décidément trop mal placés !

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