LE RÉGLEMENT TRÈS POLITIQUE D’UN MONDE CACHÉ DERRIÈRE LES MARCHÉS, par François Leclerc

Billet invité.

Visible comme le nez au milieu de la figure, mais jusqu’à maintenant superbement ignorée, une question aux fortes implications fait l’objet d’une discrète réflexion : les titres de la dette souveraine peuvent-ils ou non continuer à être considérés sans risque et traités comme tels par la régulation financière ?

Selon la BCE, ils représentent plus de 10% du montant des actifs inscrits aux bilans des banques de la zone euro, un volume en forte augmentation en 2015. Mais la réglementation en vigueur du Comité de Bâle est restée muette sur la question, laissant en particulier à cette même BCE toute latitude pour continuer à appliquer la règle arrangeante et trompeuse du risque zéro lors de ses évaluations de la solidité des banques. Son de cloche dissonant cependant, la Banque des règlements internationaux considère que ce traitement préférentiel qui permet de réduire les besoins de fonds propres devrait être revu.

Jonathan Hill, le commissaire en charge des services financiers, aborde quant à lui la question de l’exposition au risque souverain avec circonspection. Ne pouvant l’esquiver, il s’interroge sur la pertinence d’une disposition qui limiterait le volume des titres souverains à l’actif des banques en raison d’effets qui pourraient se révéler considérables. D’où vient alors cette soudaine préoccupation ? Elle résulte des discussions à n’en plus finir qui sont menées à propos du système européen d’assurance des dépôts dans le cadre de l’union bancaire. Incontestablement, celles-ci seraient facilitées si le risque auquel ces dépôts sont assujettis était réduit, les banques réduisant le leur.

À cet égard, l’importance de la détention de la dette souveraine de leur pays par les banques de la Grèce, d’Espagne, du Portugal et de l’Italie est clairement identifiée. À l’offensive pour le diminuer, on trouve sans surprise Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, qui se fait le porte-parole des préoccupations de la Bundesbank et du gouvernement allemand. Comme eux, il voit dans des dispositions restrictives à cette détention un excellent moyen de pression sur des gouvernements rétifs à appliquer la politique dont il est l’artisan, car elles impliqueraient qu’ils soient confrontés sans échappatoire possible avec le marché (pour être plus clair, avec de grands investisseurs en nombre réduit).

Les projets connus qui circulent restent très timorés. Seule une certaine proportion des titres souverains détenus par une banque – 25% est envisagé – pourrait être considérée sans risque, les banques devant appliquer pour les autres des pondérations de risque qui pourraient être ajustées en période de crise par le régulateur. Une telle règle est clairement façonnée pour réduire la présence de titres souverains aux bilans bancaires, sauf à accepter une augmentation des fonds propres en compensation. Adoptée, elle serait un moyen de pression de plus sur les gouvernements, au prétexte d’une saine normalisation réglementaire.

Toutefois, reconnaître que la dette souveraine n’est pas sans risque a d’autres implications. Cela vaut reconnaissance implicite qu’il est parfois indispensable d’accepter des remises de peine, lorsque la dette n’est plus soutenable et qu’il est nécessaire de faire la part du feu. Mais le diable a plus d’un tour dans son sac, à suivre la récente décision du FMI, qui avait argué d’un « risque systémique » pour prêter à la Grèce qu’il reconnaissait non solvable, en contradiction avec sa règle.

Le Fonds est revenu sur cette exception, qui faisait jaser ceux qui n’en avaient pas bénéficié, en adoptant de nouvelles dispositions de circonstance restant adaptées au cas grec et au contexte politique européen. Elles associent l’absence d’un « haut degré de certitude » sur la viabilité de la dette avec le caractère trop risqué de sa réduction, afin de lui permettre de participer à une opération de soutien financier, des garanties lui étant apportées par ses partenaires, par exemple sous forme de priorité de remboursement.

La restructuration globale de la dette et la réforme du système monétaire mondial – ces deux importantes clés – sont repoussées le plus loin possible : voilà la leçon qui nous est à nouveau donnée.

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