Pourquoi le nom de Piketty est une perspective nécessaire de notre démocratie, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité. L’appel sur Change.org.

La réalité virtuelle numérique réticulaire que nous découvrons au XXIème siècle dans les applications de l’Internet est arrivée avec la mondialisation financière libérale initiée par le capitalisme étatsunien vainqueur de la deuxième guerre mondiale. Tous les humains ont été transportés bon gré mal gré dans un nouvel univers cognitif, une nouvelle manière de voir le monde et de se connaître. L’évidence est disruptive d’une nouvelle étape historique d’invention de la réalité et de la vérité par l’humain.

La première conséquence de ce changement de contexte paradigmatique est la revisitation de toutes nos représentations par lesquelles nous percevons le monde extérieur, les autres et nos mondes intérieurs. Une rupture radicale s’est produite. L’intellection de la réalité n’est plus le fait d’une portion de l’humanité éduquée mais virtuellement de tout individu connecté à l’économie communisée de la connaissance. Dans ces conditions, la civilisation, la démocratie, l’organisation politique du monde, le marché, l’exploitation des ressources naturelles changent de phénoménologie si ce n’est de nature. Nous ne pouvons plus parler comme avant de ce qui peut être, de ce qui est et de ce qui doit être.

Le travail mené sur le capital par l’équipe universitaire de Thomas Piketty nous introduit dans cette nouvelle économie des réalités humaines. La catégorisation, la description et l’historisation de la nouvelle configuration du capital dans laquelle nous nous trouvons est un excellent point de départ pour rafraichir les représentations qui permettront au genre humain de vivre dans l’univers nouveau.

Le nouveau monde que nous représente Piketty à travers son histoire du capital est issu de la financiarisation libérale. Cette financiarisation repose sur la titrisation et la marchandisation du capital qui auparavant était exclusivement physique et territorialisé. Avant la titrisation, le capital n’était pas liquide. Il n’avait pas d’autre pouvoir d’achat que celui que lui donnait la société, l’organisation sociale et les élites situées dans le même lieu physique que les actifs immobiliers sous-jacents à la valeur capitaliste.

Avec la généralisation de l’État de droit et l’attribution de tout le milieu naturel terrestre à des souverainetés nationales étatiques, les biens immobiliers de production ont pu être titrisés par l’artifice de la loi. Au XIXème européen, le capital est devenu financièrement concentrique et cumulable sur des individus propriétaires libres d’en définir et d’en déterminer l’usage dans leur intérêt privé exclusif. Les prix et la rentabilité financière des biens ont été rendus indépendants du bien commun public.

Le Capital au XXIème siècle montre que l’histoire politique de l’humanité occidentale se polarise sur des rapports de force politique entre les partisans de la liberté individuelle et les partisans de l’égalité sociale. Dans la décennie 1980, l’effondrement de l’empire communiste et la révolution libérale donnent l’ascendant aux individualistes libertariens : le régime de la libre circulation du capital au-dessus de la loi des États et de la localité des personnes et des biens physiques a levé toute limitation à la concentration stérilisante du capital financiarisé sur quelques oligarchies.

Thomas Piketty quantifie le phénomène de concentration du capital et en dévoile partiellement les mécanismes. Il suggère clairement que la mutation critique en cours de l’économie mondiale libérale est directement induite par l’effacement des États dans la stabilisation des processus marchands d’allocation et de rémunération du capital. La croissance spéculative et la rémunération excessive du capital par rapport au travail ont provoqué l’affaissement tragique de la valeur ajoutée demandée sous la valeur ajoutée produite. Le stock de dettes explose pour rétablir virtuellement un équilibre qui ne repose sur aucune réalité objective mesurable.

Les dettes sont empilées sur des débiteurs publics, particuliers et étatiques qui sont privés du capital par la transformation duquel ils pourraient intégralement rembourser la valeur nominalement empruntée. L’étude menée par Piketty administre la mise en évidence de l’impasse systémique du capital non régulé par la loi politique d’un intérêt véritablement général.

Neuf ans après l’effondrement des subprimes, les institutions et le système politiques sont visiblement anéantis par la spéculation financière et l’inflation incontrôlables des dettes. Le pouvoir politique est liquéfié. Le discours politique ne renvoie plus à des réalités intelligibles aux citoyens. Le personnel politique professionnalisé gesticule dans l’espace médiatique pour masquer le chaos de son impuissance systémique.

La responsabilité politique est réduite à des variables aléatoires dans les algorithmes financiers générateurs de la liquidité monétaire. Les prix en monnaie ne signifient plus les besoins humains. Contre le délire totalitaire de l’idéologie du capital libre, Thomas Piketty rappelle aux politiques hallucinés que la comptabilité du capital ne renvoie à aucune réalité humainement mesurable si le prix de la loi, du droit et de la justice n’est pas systématisé dans une fiscalité publique du capital et de la valeur ajoutée.

Dix ans après le début de l’auto-anéantissement de l’humanité par la mondialisation libérale du capital anarchique, l’élection présidentielle française offre une option de retournement historique. Cette élection est l’équivalent des États Généraux de 1789 qui auraient pu éviter à la fin de l’ancien régime la terreur de 93 et les guerres impériales. La prochaine présidentielle française est une fenêtre de retournement systémique : la restauration de l’État de droit en France et en Europe pour remettre la liberté du capital au service de l’économie réelle des vraies gens, des sociétés et des nations fédérées.

Force est de constater à quatorze mois de l’élection et malgré la profondeur abyssale de la déflation mondiale, que l’encéphalogramme des professionnels de la politique est parfaitement plat sur le sujet de la régulation du capital et du crédit par la monnaie et la fiscalité. Si les citoyens de chair et d’os ne reprennent pas la main sur leurs réalités politiques, les institutions politiques actuellement en place n’ont aucune faculté de résistance à la féodalisation financière et au servage consumériste. De surcroit, le consumérisme libéral se révèle désormais absolument incompatible avec la préservation du milieu naturel et du genre humain.

La promotion d’une possibilité de candidature de Thomas Piketty à l’élection présidentielle * est l’un des rares leviers dont les citoyens français disposent pour ramener la logique politique à ses finalités réelles, pour organiser à leur bénéfice possible le nouveau monde en gestation. Le défi absolument inédit des électeurs du prochain Président de la République Française est de remettre le système économique au service de leur propre vie dans la démocratie.

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* La pétition sur Change.org : Thomas Piketty, présentez-vous aux présidentielles de 2017 !

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