Bernie Sanders : Le meilleur président que les États-Unis n’auront jamais, par Serge Boucher

Billet invité.

En regardant la carte des résultats des primaires américaines, on pourrait croire que Bernie Sanders, en vert, se débrouille pas trop mal et pourrait encore gagner. Certes son adversaire a quelques états d’avance, mais la moitié des états n’ont pas encore voté, et on trouve parmi ceux-ci beaucoup d’états libéraux (au sens américain du terme) sur les côtes est et ouest, bien plus favorables à Sanders que les états du sud, conservateurs, qui ont déjà voté.

En réalité, vu le processus d’attribution de voix du parti démocrate, les chances pour Sanders de remporter la nomination sont, à ce stade, essentiellement nulles. En effet, il ne s’agit pas pour remporter la nomination de remporter une majorité d’états, mais de détenir une majorité de « délégués », ceux-ci étant assignés à chaque candidat proportionnellement au vote populaire. Et ce que la carte ne montre pas, ce sont les populations de chaque état, et la marge de victoire des deux candidats.

Le succès de Sanders dans le Michigan a fait beaucoup de bruit, à juste titre, les sondages le donnant perdant avec plus de 20% de marge à la veille du scrutin. Mais sa victoire, avec 49,8% contre 48,3%, ne lui a donné en pratique qu’un avantage de 7 délégués. En contre-partie, la primaire en Floride, où la victoire de Clinton n’a surpris personne, lui a donné, avec 64,4% des voix contre 33,3%, un bonus de 68 délégués.

Cette vignette est assez représentative de la campagne : Sanders a plusieurs fois créé la surprise en remportant des états où il était donné perdant, mais, sauf dans son fief du Vermont et le voisin New Hampshire, toujours de justesse, et ces victoires ne l’avançaient en fait que très peu. Pendant ce temps, Clinton engrangeait des délégués à la pelle dans des états que Sanders ne prenait même pas la peine de contester.

Le résultat aujourd’hui, 16 mars, alors que la moitié (49,98%) des délégués ont déjà été attribués, est sans appel : Clinton mène par 1139 délégués contre 825, soit 16% des délégués déjà attribués. Ceci implique, mathématiquement, que pour devenir le nominé du parti démocrate, Sanders doit mener de plus de 16% dans la moitié des états qui doivent encore voter. Alors que dans les sondages nationaux, il a un peu plus de 10% de retard.Son retard dans les états qui doivent encore voter est probablement un peu plus faible que la moyenne nationale, mais pas tant que ça : il est toujours donné perdant dans les états les plus peuplés restant au calendrier : Pennsylvanie, New York, New Jersey, Californie…

Imaginons un scénario idéal : dans tous les états qui doivent encore voter, Sanders surprend autant que dans le Michigan, et fait 22% de mieux que les sondages actuels. Vu que la primaire du Michigan a été la seule (sur près de 30) à s’écarter de plus de quelques pourcents des sondages, que cela a été la plus grande surprise dans une élection primaire depuis les années 70, et que, a posteriori, l’écart s’explique par une combinaison improbable de multiples facteurs, imaginer que les mêmes écarts se reproduiront dans tous les états devant encore voter relève plus de la fiction historique que de l’analyse politique.

Même dans ce scénario, Hillary Clinton gagne la nomination.

Bernie Sanders a moins de chance de devenir nominé démocrate pour l’élection présidentielle que Marco Rubio, qui a abandonné sa campagne au soir du 15 Mars, n’avait de devenir le nominé républicain.

Pourquoi reste-t-il dans la course ? Parce que son but premier n’est pas de gagner la nomination. Je ne pense pas que ça l’était au moment de lancer sa campagne, peut-être que ça l’a été un moment, peut-être que l’on en saura plus dans un an ou deux quand lui-même ou ses compagnons de campagne publierons leurs mémoires. Dans tous les cas, cela fait quelques semaines que l’opération de campagne de Bernie Sanders n’a manifestement pas pour but de gagner la nomination.

Regardez les dépenses de campagne de Clinton et Sanders en vue du « Super Tuesday », le 1er Mars, où 880 délégués étaient en jeu, soit 18,9% des délégués pour l’ensemble de la primaire.

La campagne de Bernie Sanders a investi plus que Clinton dans quatre états : Colorado, Oklahoma, Massachusetts et Minnesota. Tous des états que Sanders pouvait potentiellement gagner. Et à chaque fois, beaucoup plus, jusqu’à deux fois et demi plus dans le Massachusetts. Dans les autres états, par contre, rien. Rien du tout. 0.

Si le but est de gagner la nomination, cette allocation de ressources est complètement stupide. Il y a beaucoup plus de délégués à gagner en Géorgie (102) ou au Texas (222) qu’au Colorado (66). Certainement, prendre un peu sur le budget pub du Colorado ($739,000) pour faire de la pub au Texas, où Clinton n’a dépensé que $872,000 face au 0 de Sanders, aurait rapporté plus de délégués, et donc une meilleure chance de gagner la présidentielle.

Mais les médias s’en foutent complètement de qui est mieux placé pour gagner la primaire. Que Sanders fasse 33,2% au Texas (son résultat) ou 45% (le résultat qu’il aurait peut-être pu obtenir en dépensant plus que rien sur cette élection), l’annonce au JT sera exactement la même : Clinton a remporté la primaire au Texas.

De l’autre coté, quand Sanders gagne le Colorado, les médias ne disent pas qu’il a payé $739,000 de publicité contre $401,000 pour Clinton. Et ils ne mentionnent que vaguement que cet investissement ne lui vaut qu’un avantage de 10 délégués par rapport à Clinton. Et jamais ils ne compareront cet avantage de dix délégués au déficit de 98 que Sanders subit au Texas. Le seul message que tout le monde retiendra, c’est que Sanders a gagné la primaire au Colorado.

La stratégie de Bernie Sanders, clairement, est de gagner un maximum d’états. Et sur ce point, il y aura plein de bonnes « surprises » dans les semaines à venir. D’ici la fin du mois se tiendront des primaires dans les états suivants : Idaho, Utah, Arizona, Alaska, Washington, Hawaii. Sanders est favori dans la majorité d’entre eux. Tous sont très peu peuplés, donnent donc peu de délégués, et donc ces succès de Sanders ne changeront rien au fait qu’Hillary Rodham Clinton est, indubitablement, la nominée du parti démocrate à l’élection présidentielle de 2016.

Et néanmoins, la campagne de Bernie Sanders est un succès extraordinaire. Il y a à peine un an, personne n’imaginait qu’un candidat se présentant comme « socialiste », ce qui aux États-Unis, est entendu comme disciple de Staline ou Pol Pot, pouvait être un candidat viable pour un quelconque poste au niveau national, sans parler d’être nominé par le parti démocrate. Personne ne pensait non plus qu’une campagne présidentielle pouvait être financée par des donations populaires, par des milliers et des millions de gens donnant chacun quelques dollars. Hillary Clinton a levé des fonds colossaux, grâce entre autres à ses amis de Wall Street, mais, en fait, à peine deux fois plus que Bernie Sanders, qui a pu dépenser beaucoup plus qu’elle là où cela lui semblait utile.

Bernie Sanders a fondamentalement déplacé l’échiquier politique américain. Il a mobilisé toute une génération qui se sentait oubliée par la politique, et leur a donné l’espoir et la motivation pour changer les choses. On dit qu’il a « tiré Hillary Clinton vers la gauche », mais il a fait beacoup plus que ça : il a fait comprendre au parti démocrate que celui-ci ne pouvait plus se permettre d’ignorer son aile gauche, d’espérer gagner en pratiquant les triangulations de Bill Clinton. Il a lancé un mouvement populaire, une « révolution politique », comme il le dit si fréquemment.

Et oui, inévitablement, il va à un moment dire à ce mouvement populaire de voter pour Hillary Clinton. Aucun d’entre eux ne sera entièrement satisfait par ce choix, certainement, mais l’alternative sera tellement infâme que la majorité d’entre eux voteront, effectivement, pour Hillary.

L’impact de la campagne de Sanders se ressentira surtout sur les élections législatives et sénatoriales. Dans le système américain, le président ne peut pas faire grand chose sans la chambre et le sénat. De nombreux sièges seront contestés, et les troupes mobilisées par Sanders seront là pour demander justice, pour imposer, à l’isoloir, qu’on les écoute enfin.

La campagne de Bernie Sanders a profondément changé le paysage politique américain, à un point que je ne pensais pas possible il y a un an. Il a raison de parler de « révolution politique ». C’est exactement ce qu’il est en train de faire. Des personnes qui n’avaient jamais voté, jeunes pour la plupart mais pas seulement, sont remplies d’espoir et sont prêtes à s’investir pour faire bouger le monde.

Bernie Sanders ne sera pas président. Il ne sera pas nominé démocrate. Il sera le meilleur candidat-président jamais élu. Il aura accompli, par son militantisme, sa rectitude, son courage, quelque chose d’extraordinaire.

Le meilleur président que les États-Unis n’auront jamais.

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