Comment échapper au piège de la violence ?, par Roberto Boulant

Billet invité.

Dans Religion Féroce, il ne faut surtout pas oublier le second terme, car le débouché naturel de la férocité est la violence. C’est même sa pente naturelle, puisqu’il suffit de ne rien faire pour voir cette dernière augmenter inexorablement. Cette violence, ou plus exactement l’enclenchement d’une spirale débouchant sur le pire, est inscrite au cœur même du système TINA.

Que ce soit avec la trahison-minute d’un François Hollande au lendemain de son élection, ou avec la Troïka européenne et sa sauvagerie nihiliste vis-à-vis du peuple grec, la délégitimation du pouvoir politique et économique est maintenant presque totale. Avec pour immédiate conséquence de s’attaquer aux fondements mêmes de la paix civile !

Dans un environnement social aussi dégradé, se contenter d’un ‘beautiful thinking’ (yakafokon dans la langue de Molière), sans penser la férocité du système, en rejetant tout un pan de la réalité dans l’angle mort de la pensée, est l’assurance de voir croitre les exaspérations et les frustrations jusqu’à l’explosion sociale…, ou la victoire électorale de partis xénophobes et nationalistes.

Le point de départ d’une saine réflexion ne devrait-il pas alors s’appuyer sur quelques saines évidences ? (aussi détestable soit la réalité ainsi décrite)

– C’est bien connu, il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre. Il est devenu impossible de rétablir la démocratie, avec une nomenklatura politique qui ne représente plus que les intérêts d’une élite économique et financière.

– Notre actuelle classe politique ne se suicidera certainement pas en votant des lois empêchant la professionnalisation (cumul et perpétuation des mandats) ou en instaurant la possibilité de chasser en cours de législature les malhonnêtes ayant trahi leurs électeurs.

– Créer un nouveau parti ex-nihilo, en 12 mois, qui emporterait une majorité absolue à l’Assemblée Nationale, et qui bien sûr ne présenterait aucun professionnel de la profession relève du fantasme. Tout comme d’ailleurs la possibilité de resocialiser le PS en éliminant ses éléphants (version locale des ‘élites’). Quant à l’Homme Providentiel qui sortira des limbes pour sauver la France, même sans moustaches ou bicorne…

– La taille pour pouvoir peser dans un monde globalisé est clairement continentale. Il faudrait donc qu’un gouvernement et une Assemblée représentant réellement les intérêts d’une majorité de citoyens, s’attaquent immédiatement à la renégociation du traité de Lisbonne, ainsi qu’au suicidaire pacte budgétaire européen. Et comme la modification desdits traités est soumise à l’unanimité des états membres (voir ici l’article 48 et ses alinéas du traité sur l’Union européenne –page 43-), on voit par-là que le miracle démocratique devrait toucher en même temps tous les pays signataires…

Le piège semble donc parfait.

Bien sûr il ne s’agit pas d’ajouter l’ignominie à l’opprobre qui éclabousse déjà nos gouvernants et nos élus. Sans même parler de la piétaille d’un Parlement godillot qui vote finalement où on lui dit de voter, nul doute que des personnages comme le chef de l’État ou son Premier ministre ne sont pas des monstres œuvrant secrètement à la destruction de la démocratie (tout du moins de ce qui en subsiste). Non, ce ne sont que de banals ambitieux à l’ego surdimensionné, et accessoirement aussi des professionnels du revirement et de l’assassinat entres amis, compétences absolument nécessaires pour se hisser aux plus hauts postes du pouvoir. Sans psychologiser à outrance, sans doute est-il même permis de penser qu’ils ne rêvent que de ‘bonne gouvernance’. Vous savez ? ce monde magique où il suffit d’obéir aux lois ‘naturelles’ de l’économie, afin de pouvoir profiter tranquillement des ors des palais républicains.

Sauf que ce qui se nomme ‘bonne gouvernance’ en novlangue néolibérale, se traduit en bon français par ‘captation des richesses au profit du 1%’. Avec pour conséquence, minuscule détail s’il en fût, l’effondrement des classes moyennes. Ce que le plus halluciné des scénaristes hollywoodiens n’aurait pas osé imaginer est l’aboutissement ultime de la logique néolibérale : une noblesse d’argent transnationale, un peuple de serfs captifs de leur territoire, et une intendance politicienne en charge de la ‘bonne gouvernance’.

Bien sûr, la violence explosera bien avant que la réalité ne rejoigne ce monde délirant. Car enfin, est-il nécessaire d’être grand clerc pour deviner la dystopie vers laquelle nous entraînent nos ‘élites’ ? De toute évidence, un système remplaçant le débat et l’affrontement démocratique par le jeu d’ombres du TINA ne peut déboucher que sur la mise à mort du vivre ensemble. La sombre ironie étant que le chaos social que nos gouvernants essayent à tout prix d’éviter est sans cesse attisé à grands coups de leurs ‘réformes’ (lire ‘destruction des acquis sociaux’).

Il nous faut donc repartir de zéro et tout réinventer. Contre des institutions verrouillées par les intérêts privés et contre une classe politique professionnalisée, afin de pouvoir instaurer un rapport de force favorable aux intérêts des citoyens.

La difficulté se trouvant comme toujours, non pas dans l’acquisition de la force, mais dans sa maitrise. Il s’agit de tordre les bras de tous ceux qui ont intérêt au maintien du système tel qu’il est, mais sans verser dans une violence incontrôlée qui serait pain bénit pour toutes les forces de réaction. Celles de l’extrême-droite bien sûr, mais également celles plus présentables qui avec le peu regretté Friedrich Hayek, préfèrent un dictateur libéral plutôt qu’un gouvernement démocratique manquant de libéralisme.

C’est me semble-t-il à la condition de penser également ce ‘contre’, que nous pourrons éviter le pire. Nous devons imaginer ces deux impératifs : l’utopie d’un nouveau monde, mais également la manière de détruire l’ancien qui résiste et qui ne se laissera pas faire.

Loin, très loin du cauchemar totalitaire d’une gouvernance par les nombres et de son univers invariant, nous nous découvrons malgré la puissance de nos artefacts technologiques, à devoir faire exactement comme nos ancêtres : à apprendre en marchant !

Exactement ce qui se passe avec Nuit debout.

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