LES AUTORITÉS EUROPÉENNES DANS LE MIROIR DE LEURS ERREMENTS, par François Leclerc

Billet invité.

Ayant suscité un remake de la précédente crise grecque mais craignant la simultanéité de son retour avec le référendum britannique, les plus hautes autorités européennes se retrouvent le bec dans l’eau. Ayant masqué leurs divergences avec le FMI par un compromis de dernière heure refusé par le gouvernement grec, les désaccords entre eux ont pris le relais.

À nouveau, c’est la confusion. La réunion d’aujourd’hui de l’Eurogroupe où Jeroen Dijsselbloem son président avait annoncé que tout allait être bouclé a été annulée. À la recherche d’un accord politique, Alexis Tsipras a demandé à Donald Tusk la convocation d’un sommet, mais celui-ci a refusé et s’est contenté d’une réunion de l’Eurogroupe, la souhaitant « dans les prochains jours ». Son président l’a promis… dans une à deux semaines. Selon lui comme pour Jean-Claude Juncker, un accord est proche. Mais Klaus Regling, le patron du Mécanisme européen de stabilité (MES), considère qu’il n’en est pas ainsi.

Si la résorption des désaccords fait l’objet d’appréciations divergentes, le principal de celles-ci est par contre identifié. Afin de satisfaire le FMI, un dispositif qui ne figure pas dans les accords initiaux d’août 2015 a été unilatéralement rajouté. Des coupes budgétaires contingentes d’un montant de 3 milliards d’euros, destinées à être effectuées en 2018 si l’excédent budgétaire de 3,5% n’est pas atteint, sont désormais exigées. Mais le gouvernement grec refuse de les détailler à l’avance et déclare ne pas pouvoir légiférer comme il lui est demandé, en raison de la loi grecque. À la recherche d’une solution, Jeroen Dijsselbloem a eu cette phrase qui témoigne au choix d’un certain malaise ou d’une grande désinvolture : « nous ne demandons tout de même pas à la Grèce de modifier sa Constitution »…

Que pense Wolfgang Schäuble dont les propos affectaient dernièrement la bienveillance, la ligne gouvernementale allemande étant de ne plus jouer ostensiblement le rôle du méchant donneur de leçons ? Refusant un sommet – le précédent qui l’avait désavoué ne lui ayant pas laissé le meilleur souvenir – il prétend que les questions débattues sont « de la compétence de l’Eurogroupe », où il a ses aises. Et il se refuse à toute référence à la crise des réfugiés, qu’un sommet prendrait plus naturellement en compte. À l’opposé, Jean-Claude Juncker critique auprès de ses conseillers les exigences du FMI, aucune démocratie n’accepterait selon ses propos rapportés, la demande de telles mesures contingentes. Roberto Gualtieri, le président du comité des affaires économiques et monétaires du Parlement européen, considère que de telles mesures additionnelles sont difficiles à justifier, étant donné les résultats 2015 de la Grèce, meilleurs que prévus. Il appelle en conséquence la direction politique de l’Union européenne à intervenir si l’Eurogroupe n’accepte pas la contre-proposition grecque qui consiste à s’engager sur un volume financier de mesures additionnelles, sans les identifier.

Ne disposant plus que d’une étroite majorité parlementaire, Alexis Tsipras a une marge de manœuvre très restreinte et se retrouve une fois de plus le dos au mur, bien qu’ayant tenu ses engagements. Le voudrait-il qu’il ne pourrait pas couper une nouvelle fois dans les retraites comme il est exigé, ce qui entrainerait la chute de son gouvernement. Une nouvelle fois, il a commencé à retarder les payements des factures et à racler les fonds de tiroir pour payer les salaires et les retraites des fonctionnaires, en attendant l’échéance butoir du remboursement de la BCE de la mi-juillet dont il n’a pas les moyens.

De leur côté, les créanciers ne tiennent pas parole. En application d’une logique aveugle, craignant que les mesures d’austérité qu’ils imposent ne produisent pas les résultats attendus, ils en exigent d’autres qui ne pourront que faire empirer la situation. Le gouvernement allemand pour des raisons doctrinales dont il ne veut démordre, et le FMI par défaut et en rejouant à contretemps ses grands classiques, ne parvenant pas à obtenir la réduction de la dette qu’il préconisait. Malgré la reculade de Christine Lagarde qui a mis de l’eau dans son vin en évoquant un « reprofiling de la dette utilisant de multiples mécanismes ». Car même en discuter est prématuré pour Wolfgang Schäuble, la charge de la dette étant faible au cours des sept années à venir et ne le justifiant pas selon lui. L’objectif qu’il poursuit ainsi est de faire obstacle au retour de la Grèce sur le marché dans le but de se sortir de l’étau dans lequel elle est placée.

La Grèce est bien un laboratoire, mais pas celui qui était annoncé. Une double démonstration y est faite : celle de l’inconséquence de la politique qui y est imposée et celle de sa poursuite sous le leadership européen d’un gouvernement allemand que nul n’ose ouvertement affronter. Pourtant, la crise politique le ronge lui aussi, le score électoral de la grande coalition CDU/CSU-SPD chutant comme cela s’est déjà produit aux Pays-Bas et en Autriche. Selon un nouveau sondage, il serait de 50,5% alors qu’il atteignait 80% il y a encore peu d’années. Une reconduction de la formule risque de devoir sous peu imposer la participation d’un troisième parti, sous les effets de la polarisation politique, en particulier de la poussée du nouveau parti Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui mord notamment sur le cœur ouvrier de l’électorat du SPD.

Quelle admirable constance dans l’échec  !

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