Lettre des économistes contre les havres fiscaux (co-signée Piketty, initiée par Oxfam)

Billet invité.

Oxfam est à l’initiative d’une lettre de 300 économistes pour lever la transparence sur les havres fiscaux. Le gros de la presse se contente de reproduire des éléments, voici sa traduction par Timiota.

Chers leaders mondiaux,

Nous vous prions instamment de mettre à profit le sommet anti-corruption de Londres ce mois-ci pour engager des changements significatifs en vue de mettre un terme à l’ère des havres fiscaux. L’existence des havres fiscaux n’ajoute rien à la richesse globale ni au bien-être ; ils n’ont pas de finalité économique utile. S’il est patent que ces juridictions profitent à quelques riches individus et quelques entreprises multinationales, cet avantage est au détriment des autres, et ils servent par conséquent à augmenter les inégalités.

Comme l’ont révélé les Panama Papers et d’autres récentes parutions, le secret que fournissent les havres fiscaux nourrit la corruption et sape la capacité des pays à collecter leur juste part d’imposition. Alors que tous les pays sont touchés par la fraude fiscale, les pays pauvres sont en proportion les grands perdants, victimes d’un manque à gagner annuel d’impôt qui se monte à au moins 170 milliards de dollars.

En tant qu’économistes, nous pouvons avoir des vues très variées sur les niveaux souhaitables de taxation, directe ou indirecte, que ce soit sur les personnes ou les sociétés. Mais nous sommes en accord pour dire que les territoires qui autorisent les actifs à être cachés dans des coquilles juridiques ou qui encouragent les profits à être comptabilisés dans des sociétés qui ne font pas d’affaires sur place, distordent le fonctionnement global de l’économie. En masquant des activités illégales et en permettant à de riches individus et des entreprises multinationales d’opérer suivant des règles différentes, ils menacent aussi l’état de droit (rule of law) qui est un ingrédient vital du succès économique.

Pour soulever le voile de secret qui recouvre les paradis fiscaux, nous avons besoin de nouveaux accords globaux sur des questions telles que la comptabilité publique (public reporting) pays par pays, en y incluant les havres fiscaux. Les gouvernements doivent aussi faire le ménage chez eux en s’assurant que tous les territoires pour lesquels ils sont responsables rendent publique l’information sur les propriétaires bénéficiaires-finaux des sociétés et des trusts (fiducies). Le Royaume-Uni, en tant qu’hôte de ce sommet, et en tant qu’état qui assure la souveraineté sur un tiers des havres fiscaux dans le monde, doit être à la hauteur que lui confère cette situation singulière en termes d’initiative à prendre.

S’attaquer aux havres fiscaux n’est pas chose facile ; il y a des intérêts associés puissants qui bénéficient  du statu quo. Mais Adam Smith lui-même n’a-t-il pas dit que les riches « devraient contribuer à la dépense publique, non pas en proportion de leur revenu, mais à davantage que dans cette proportion ». Il n’y a aucune justification économique pour laisser perdurer des havres fiscaux qui font marcher cette citation sur sa tête.

Etude de cas : Le Malawi

Les rentrées fiscales qui devraient servir à financer les services publics tels que les soins de santé et l’éducation au Malawi et autres pays pauvres disparaissent à un rythme alarmant. Il est estimé que les pertes de l’Afrique en imposition des revenus sont de l’ordre de 14 milliards de dollars annuellement – assez d’argent pour les soins de santés aux mères et aux enfants qui pourraient sauver la vie de quatre millions d’enfants par an, et pour embaucher assez d’instituteurs pour que chaque enfant africain puisse suivre une scolarité.

Dans le cas du Malawi, il est impossible d’avoir un tableau fidèle de la fraude fiscale. Néanmoins, Oxfam a pu calculer que les pertes en rentrées fiscales à partir des montants détenus par des ressortissants du Malawi  sur les comptes de la banque HSBC à Genève, révélés lors des Swissleaks de 2015, correspondaient à la paye du salaire de 800 infirmières sur un an.

La moitié des 16 millions d’habitants du Malawi vit sous le seuil de pauvreté. Le système de santé est gravement en manque de ressources, avec des coupes dans les équipes et dans les médicaments et soins vitaux. Il n’y a en moyenne que 3 infirmières pour 10 000 habitants. Le niveau de dépense scolaire pour l’éducation primaire est parmi les plus bas du monde. Les récentes coupes dans le budget du gouvernement rendent la situation encore pire pour les plus pauvres, qui n’ont aucun moyen de payer les cliniques et écoles privées.

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