Qui étions-nous ? Les rives du Vincin (I) Une pensée « à la Lévi-Strauss » (vite balayée ?)

Je suis allé déjeuner à la Guinguette de Conleau. Je m’échappe en cinq minutes à peine de l’ancien hameau vannetais de Bernus, ses deux lotissements, ancien et flambant neuf, ses vieilles fermes et son vieux manoir. Je plonge ensuite dans la forêt-galerie couvrant le ruisseau torrentueux du Pargo, et je débouche bientôt sur les confins nord du Golfe du Morbihan. Une promenade d’une demi-heure au long des rives sinueuses du Vincin me conduit alors vers l’île de Conleau, devenue aujourd’hui par la main de l’homme, presqu’île.

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Le Vincin est ce qu’on appelle une slikke : à marée basse une combinaison d’étendues boueuses et d’îlots herbeux qui, à marée haute, se recouvre de l’eau remontant de la mer en se frayant un passage entre la poussière d’îles parsemant le Golfe.

À l’endroit où les eaux douces du Pargo viennent se mêler à celles saumâtres du Vincin, j’aperçois en contre-bas, dans ce no man’s land marécageux, une aigrette garzette pataugeant avec la circonspection et la solennité qui lui va si bien. Je m’arrête un instant pour observer, vaquant à ses occupations, ce gracieux échassier au blanc immaculé et la pensée qui me vient est une pensée « à la Lévi-Strauss » : « Ne vaudrait-il pas mieux pour que continue d’exister la splendeur paisible d’un tel endroit et de son visiteur, que l’homme vide les lieux ? le plus tôt étant le mieux. »

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Mais une petite voix se fait entendre aussitôt : « Y aurait-il encore de la splendeur sans notre regard posé sur elle pour la trouver splendide ? », ou bien s’agirait-il du grand n’importe quoi, aussi varié et coloré soit-il, que la nature produit sans effort et continuerait de produire dans une totale indifférence en l’absence de nos yeux embués par l’attendrissement ? Les petits enfants sur Titan – s’il en existe – disent eux aussi sans doute « Wow ! » quand l’arc-en-ciel d’une pluie de méthane liquide se dessine soudain, sur l’immense globe de Saturne monopolisant l’horizon.

Oui, c’est nous qui découvrons de la signification, de la beauté, dans un univers qui en soi – sans nous – ignore tout de telles notions. Sans nous, il est ; un point c’est tout. Schelling a dit que l’homme a permis à l’univers de prendre conscience de lui-même. Sans nous, l’univers ignore tout de lui-même. Il ne sait ni qui il est, ni même qu’il est. S’en porte-t-il plus mal pour autant ? Lévi-Strauss a affirmé que non. La question mérite au moins examen.

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