Je réponds au questionnaire d’Isabelle Joly

Si vous aviez de l’argent, vous baisseriez la cadence ? Vous vous autoriseriez à souffler, peut-être ?

Je l’espère ! Dans quelle mesure, c’est difficile à dire, il y a deux urgences : la mienne, et celle du monde autour de moi. Celle du monde ne risque pas de diminuer beaucoup malheureusement !

Vous écririez moins de livres ?

J’ai le sentiment maintenant d’avoir écrit les livres que j’avais envie d’écrire. Si j’écris en ce moment Qui étions-nous ? Défense et illustration du genre humain, c’est qu’on me dit – à juste titre selon moi – que dans Le dernier qui s’en va éteint la lumière, j’en dis trop ou pas assez.

Quelle est selon vous la meilleure façon de convaincre ?

D’accepter le débat avec ses adversaires, de penser que chacun est susceptible de changer d’avis, même si ses intérêts vont tout à fait à l’encontre de reconnaître les faits (évidemment plus il ou elle a à perdre en voyant le monde tel qu’il est, plus faible est la probabilité qu’il ou elle le fera).

Écrire vos livres et en vendre le plus possible, d’où votre « tournée des media » pour les faire connaître ?

Les gens qui lisent le Blog ne lisent pas mes livres (s’ils le faisaient j’en vendrais bien davantage ! 🙂 ), et ceux qui lisent mes livres ne viennent pas sur le Blog. Si on me confiait une émission radio ou télé, je toucherais un troisième genre de public : des gens qui ne lisent pas de livres et qui ne vont pas traîner leurs guêtres sur l’Internet.

En quoi le fait d’avoir les moyens ralentirait votre tournée des media ?

Je prendrais le temps de dormir.

Vous n’êtes pas payé quand vous donnez une interview, je pense. Ça ne change rien pour le nombre d’interviews, que vous ayez les moyens ou pas.

En effet, même SDF j’irais dans une bibliothèque pour trouver un ordinateur et répondre aux interviews. [Au moment où j’écris cela je me rends compte que certaines personnes qui me lisent penseront qu’il est absurde que quelqu’un qui donne des interviews soit dans la misère. Pierre Bourdieu avait dit – à raison – que le « capital culturel » se transforme en « capital économique », mais ceci n’est vrai que si vous êtes perçu comme « quelqu’un du sérail » (= « courtisan »), si vous êtes un authentique dissident, l’équation ne tient pas].

Si vous vendez un milliard de livres aux Chinois, vous arrêterez vos tournées ?

En Europe peut-être, mais j’espère qu’on aura alors envie de m’entendre en Chine (tout ce que j’ai à dire n’est pas dans Le dernier qui s’en va éteint la lumière 😉 !).

A partir de quel moment vous estimerez qu’on vous aura cru, et enclenché le changement qui s’impose :

quand la spéculation aura été interdite ?

C’est une condition sine qua non ! Avez-vous remarqué que même les plus fort-en-gueule sont extrêmement tolérants envers la spéculation et ne parlent encore que de la « modérer » avec une quelconque « taxe sur les opérations financières » ? Même eux colportent le bobard que « La spéculation apporte de la liquidité (extrêmement utile !) » !

quand l’industrialisation s’arrêtera ?

Ce n’est pas l’industrialisation qui constitue une menace, c’est la croissance dont la seule nécessité est de verser des intérêts et des dividendes parce que le capital est une somme qui manque à l’endroit où elle est indispensable pour produire, distribuer ou tout simplement survivre.

quand le capitalisme sera tombé, que le profit ne sera plus l’unique aune à laquelle mesurer l’action ?

… « quand le capitalisme sera tombé », et qu’il n’aura pas été remplacé par une autre « machine à concentrer la richesse » par des révolutionnaires de bonne volonté pendant les cinq premières années, avant qu’ils ne se disent : « On en a tant sué pendant la Glorieuse Révolution du Peuple Triomphant, qu’il est temps maintenant de s’en mettre à notre tour plein les fouilles ! ».

ou les trois à la fois ?

OUI : les trois à la fois.

pensez-vous possible que le changement s’enclenche de votre vivant ?

Oui, il a commencé. Il faut être sensible aux vacillements au sommet. Quand l’éditorialiste plein de morgue et d’assurance de classe du Financial Times tance un directeur du Fonds monétaire international sur un ton paternaliste, il est clair que l’un et l’autre n’en mènent pas large !

avez-vous pensé au fait que les gens ne veulent peut-être pas sauver l’humanité, peut-être vivent-ils dans un monde dans lequel ils n’arrivent pas à s’aimer eux-mêmes, et qu’ils n’estiment pas devoir sauver. Qu’il n’en vaut pas la peine.

C’est pourquoi je considère que la psychanalyse (y compris de nos zélites lobotomisées) constitue le complément (bottom-up) de toute solution d’ordre politique (top-down).

Pourriez-vous aussi lutter contre ça ?

À toute petite échelle : en ouvrant un cabinet de psychanalyste (en 2018 – « Si j’ai l’bonheur de viv’ ! », comme disaient mes mentors en matière de pêche artisanale [resquiat in pace Jean-Michel, Raphaël, Jo !]).

Je sais que c’est le sujet de votre prochain livre. Si vous aviez les moyens, vous arrêteriez la tournée, pour écrire ce livre-là, qui sera peut-être le plus important de tous ceux que vous aurez écrits ?

J’écris toujours mes livres dans les trains, les avions, les cafés en face des gares, les cafés [déprimants] dans les aérogares. Et quand je suis chez moi, je monte la musique pour me faire croire que je suis dans une gare ou une aérogare.

Auquel cas est-ce ce que vous appelez « baisser la cadence » ?

Baisser la quoi ?

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