LA CROISSANCE AVEC LES DENTS ? par François Leclerc

Billet invité.

Les heures de gloire de la mondialisation débridée appartiennent au passé. La baisse de la croissance des économies émergentes, principalement de la Chine, pèse de tout son poids sur son ralentissement. En ouvrant aujourd’hui la rencontre des ministres du commerce international du G20 à Shanghaï, le ministre chinois du commerce Gao Hucheng a constaté que « la reprise économique reste fragile, le commerce mondial fluctue à de faibles niveaux ». Diplomatiquement, il propose de « travailler avec toutes les parties avec sagesse, courage et de façon pragmatique », mais des discussions de chiffonniers sont annoncées.

Roberto Azevêdo, le directeur général de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), reconnaît que « la croissance du commerce mondial devrait rester sous les 3% en 2016, pour la cinquième année consécutive, au plus bas depuis trois décennies », tout en cherchant à l’attribuer prioritairement à la baisse du dollar pour la minimiser. Le temps n’est plus à sa croissance foudroyante et à l’abaissement des droits de douane – ainsi qu’aux baisses correspondantes des ressource des États – présentée comme la voie royale à suivre, sans se soucier des conséquences dévastatrices d’une mondialisation galopante.

Le directeur général avait déjà tenté de noyer le poisson lors de sa conférence de presse d’avril dernier : « la faible croissance observée aujourd’hui est atypique, mais la forte croissance enregistrée avant la crise l’était également. Nous ne devons pas nous attendre au retour d’un tel scénario de forte croissance atypique dans un proche avenir. »

Comment y remédier selon lui ? À l’heure où il est reconnu que les politiques monétaires accommodantes ne peuvent pas tout faire, « il est grand temps pour les gouvernements de travailler ensemble pour voir comment le commerce peut doper la croissance mondiale et l’emploi », s’est-il interrogé sans apporter de réponse. Les idées fixes sont toujours les plus simplistes et par définition les plus tenaces. Faute de mieux, il s’est contenté d’appeler à la ratification par l’ensemble des membres du G20 de l’accord sur la facilitation des échanges (TFA) conclu en 2013 à Bali.

Mais l’impact de cet accord sera négligeable, ce qui a conduit l’administration américaine, une fois pris acte de l’enlisement des discussions au sein de l’OMC, à promouvoir un nouveau dispositif. Un traité multilatéral de libre-échange a déjà été conclu pour la région Asie-Pacifique (TPP), et un second reste en discussion avec l’Europe (TTIP). Mais ce dernier, d’abord négocié sous le manteau, s’accommode mal de la lumière des projecteurs et suscite des désaccords de plus en plus nombreux, retardant son adoption et la rendant plus aléatoire. Le traité entre le Canada et l’Union européenne (CETA) entre pour sa part en phase de ratification et pourrait, en attendant, ou à défaut, servir de cheval de Troie aux compagnies transnationales via leurs filiales canadiennes. À son propos, Jean-Claude Juncker vient de manger son chapeau et a dû admettre, après l’avoir repoussé, que les parlements nationaux vont devoir le ratifier.

À cet égard, Roberto Azevêdo n’a pas manqué de mettre en garde contre la progression de la « rhétorique protectionniste extrêmement nocive » et la montée du populisme dans le monde entier, sans dire un seul mot des politiques des banques centrales qui visent entre autre, sans l’admettre, à déprécier leur monnaie pour conquérir un avantage concurrentiel tout en s’annihilant entre elles. Bien que larvée, la guerre des monnaies n’en est pas moins ouverte. Le Japon s’y est particulièrement engagé, et aucun pays occidental ne répugne à en bénéficier grâce à l’intervention de sa banque centrale.

C’est en raison de ses pratiques de dumping sur le marché de l’acier que la Chine, qui croule sous les surcapacités de production, se trouve désormais sur le banc des accusés. Au cœur d’une transition vers l’économie de marché lente et incertaine, et aux prises avec un endettement faramineux de l’État, des collectivités et des grandes entreprises, le Parti-État ne veut pas déclencher une crise sociale en fermant des grandes entreprises sidérurgiques. Les États-Unis ont adopté de lourdes taxes contre certains aciers chinois et le Parlement européen s’est opposé à l’octroi à la Chine du statut d’économie de marché qui menacerait les industries européennes.

Si l’intensification des échanges commerciaux n’est plus la solution pour relancer la croissance de l’économie, à quelle bouée se raccrocher dans les pays développés ? Ce n’est pas l’économiste américain Robert Gordon, ce théoricien de la stagnation séculaire dont la notoriété est grande aux États-Unis, sans doute en raison d’un certain pessimisme ambiant, qui apportera la réponse. En raison du déclin du taux d’emploi, du niveau d’éducation qui ne garantit plus l’accès au marché du travail, de l’augmentation des inégalités qui entraîne une stagnation ou une baisse de la demande globale, et de la dette des États qui pèse sur la dépense publique, il ne voit pas de perspective de rebond de la croissance.

Prenant le contrepied d’une thèse communément admise, Robert Gordon ne croit pas que les technologies de l’information joueront le rôle des révolutions industrielles précédentes, et estime que les gains de productivité que l’on peut en attendre seront faibles. Cela est discutable, mais a contrario dispute la croyance aveugle dans la permanence de la croissance et le besoin d’alimenter la perspective mythique d’un retour de l’âge d’or. À la recherche d’une vision optimiste, le Forum de Davos de cette année n’a pas manqué de confronter les points de vue sur cette question considérée comme décisive, au vu des données mettant en évidence le déclin de la progression de la productivité du travail aux États-Unis.

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