De quoi parle mon dernier livre ?

le dernier qui s'en va...Tout auteur vous le dira : pour expliquer de quoi parle son livre, il est le plus mal placé. Bien sûr c’est lui qui l’a enfanté au terme d’une longue gestation où se sont mélangées inextricablement la joie et la peine mais, une fois mis au monde, quand il le regarde, à part quelque vague ressemblance avec lui-même, il y a là un objet ne ressemblant à rien de connu et dont il a bien du mal à définir la nature exacte.

C’est là qu’intervient le lecteur. Voici ce que m’écrit l’un d’eux :

« Je termine à l’instant Le dernier qui s’en va éteint la lumière et j’ai envie de vous écrire deux choses :

– la première c’est que le meilleur, c’est la fin ! La dernière partie de votre livre d’abord, qui nous convainc de faire notre deuil collectif, nous qui ne savons pas mourir …

– la fin de l’espèce ensuite, qui n’en est pas une puisqu’elle transmet le relais à nos inventions : la vie est assez intelligente pour créer de la non-vie qui prendra le relais de manière plus efficace. En effet Hegel avait peut-être raison finalement avec son histoire de ruse de la Raison ! »

Nous ne savons pas mourir, c’est vrai. Nous découvrons aussi, jour après jour, de nouveaux aspects de nos imperfections et des malédictions qui affligent notre sort, qui ne sont pas de notre fait mais avec lesquelles il nous faut vivre et, avec beaucoup de sagesse, nous évitons de les programmer dans la machine. Je notais en 1989 dans Principes des systèmes intelligents que l’inaccessibilité chez nous de certaines traces en mémoire (leur refoulement) en raison des valeurs d’affect trop élevées qui leurs sont associées est « quelque chose de l’ordre du « ratage », dont il vaudrait mieux épargner les effets à un SI [système intelligent] » (1989 : 75 ; 2012 : 117). Nos machines sont des versions améliorées de nous-même.

Comme pour un enfant, c’est la manière dont le monde reçoit un livre qui fait son destin, bien davantage que l’idée que s’en fait son auteur. C’est la qualité de cette réception qu’il doit apprendre à interpréter. Une mosaïque kaléidoscopique se compose à partir de ce que chaque lecteur en particulier a lu, à savoir ce qui dans le livre lui parlait à lui. Et c’est cette image qui permet à l’auteur d’avoir une vision de plus en plus précise de son ouvrage. Ainsi, à un directeur des ventes qui m’écrivait : « La semaine du 20 [mai] n’est pas terrible, mais c’était une semaine de 4 jours », je répondais : « Je pense comme vous que des fluctuations sur des chiffres de cet ordre là ne sont pas pertinentes sur des périodes aussi courtes que 4 jours », et j’ajoutais : « Pour les chiffres de ventes, je ne pense pas qu’il faille se focaliser pour un ouvrage comme celui-ci sur les tout premiers mois, et ceci pour deux raisons : d’abord parce que son destin dépendra essentiellement de la réception de la traduction chinoise, ensuite parce que son sujet sera hélas chaque jour d’une actualité plus brûlante. »

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