Satan

Quand je me suis mis à évoquer les membres de la Troïka exécutant leurs basses œuvres en Grèce comme « prêtres d’une religion féroce », chacun comprit très bien ce que je voulais dire et l’expression connaît depuis une certaine popularité.

Il s’agissait d’un raccourci, bien sûr, d’une métaphore : la Troïka – Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international – n’est pas véritablement une Église.

Le risque avec une métaphore, qui est une figure de style, c’est que celui qui la lit passe à côté du figuré et que l’image soit prise littéralement par lui, c’est-à-dire au sens propre.

Le risque est grand. Quand Schumpeter écrivait dans son Histoire de l’analyse économique qui parut en 1954 : « Aussi peut-il paraître plus naturel de dire que les banquiers augmentent non pas la vitesse mais la quantité de la monnaie … », il opérait là aussi un raccourci. Depuis, cependant, des générations entières de commentateurs pressés ont pris à la lettre une image dont le seul but était selon lui « de paraître plus naturelle », et parlent de création monétaire ex nihilo.

José d’Acosta est né en 1539 et mort en 1600. Missionnaire jésuite, il vécut au Pérou de 1569 à 1585 ; il demeura ensuite trois ans au Mexique où il observa la culture aztèque. Révulsé par le spectacle d’une pyramide ruisselant en permanence de sang humain parce qu’une procession de prisonniers y était sacrifiée de manière ininterrompue, il s’interrogeait, en proie à un très grand désarroi, sur le sens de ce qu’il voyait. Jusqu’à ce que l’explication lui apparaisse soudain dans un éclair : « Dieu a mis en scène ici, pour notre édification, le spectacle d’un monde dirigé par Satan ! ».

Le mot « Satan » est à prendre chez d’Acosta, au sens littéral. Si je devais l’utiliser moi, il s’agirait d’une métaphore, dont il faudrait impérieusement se souvenir qu’il s’agit sous ma plume, d’une figure de style.

Quand je lis que le sénateur américain Barry Goldwater déclarait que « l’extrémisme dans la défense de la liberté n’est pas un défaut », et que l’on devine aisément que le mot « liberté » signifiait plus banalement pour lui « la cupidité de gens comme moi », ou quand je lis que le journaliste George Will affirmait en 1992 dans le Washington Post que « L’environnementalisme est un arbre vert aux racines rouges », j’ai le sentiment – comme d’Acosta – d’observer Satan dans ses œuvres.

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