LA DEUTSCHE, « SAUVETAGE » AVEC DES BOUTS DE FICELLE ? par François Leclerc

Billet invité.

Pendant que d’invérifiables rumeurs rapportées par Reuters font état de « contacts à tous les niveaux » entre Allemands et Américains, afin de réduire le montant de l’amende qui a déstabilisé la Deutsche Bank, les soutiens affluent. La Deutsche joue un rôle financier international tel que les autorités américaines ne peuvent pas ne pas tenir compte des effets que sa déstabilisation aurait sur les banques de leur pays, est-il espéré.

Ni confirmée ni démentie, une autre fuite dont l’AFP avait précédemment bénéficié annonçait un accord d’un montant de 5,4 milliards de dollars qui, heureux hasard, correspondrait à peu près à la provision pour litiges de la banque. Certes, celle-ci resterait démunie pour régler les 8.000 autres en attente, mais peut-elle espérer obtenir mieux ? La fuite en question a néanmoins fait remonter le cours boursier en chute libre de la Deutsche, ce qui était sans doute son propos. Pour connaître le montant définitif, il faudra attendre.

Depuis Washington, Christine Lagarde a appelé à une issue rapide, en précisant « le plus tôt sera le mieux ». Difficile d’en dire plus dans sa position ! Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe, a pour sa part été droit au but : « la dernière chose que nous voulons, c’est que ces amendes menacent la stabilité financière du secteur bancaire européen ». Utilisant un singulier argument, il s’est plaint que les amendes américaines aient privé les banques européennes de capitaux acquis pour renforcer leur solidité financière, comme si ce renforcement ne devait pas correspondre également au règlement de celles-ci.

Estimant que la Deutsche a « suffisamment de flexibilité financière » pour faire face à l’amende, après avoir considéré qu’elle sera plus basse qu’annoncée initialement, Standard and Poor’s a vendredi décidé de maintenir sa note à BBB+ pour la dette de long terme, assortie d’une perspective négative. Cette dernière « reflète la possibilité que nous puissions abaisser les notes de Deutsche Bank, si elle est incapable de démontrer qu’elle peut atteindre une capacité à générer des profits équivalente à ses pairs et une plus forte solvabilité », précise l’agence de notation qui ménage ses arrières.

Des grandes entreprises allemandes, en reconnaissance des temps où la Deutsche les soutenait et du rôle important qu’elle continue de jouer au profit de l’économie du pays, envisagent d’entrer au capital de la banque. D’après le quotidien Handelsblatt, leur participation pourrait être de plusieurs milliards d’euros. Si cette somme ne couvrirait pas l’amende américaine, le geste aurait vocation à inciter d’autres investisseurs à se joindre à elles.

D’après le Spiegel, le cheikh Hamad ben Jassem ben Jaber Al-Thani et l’ancien émir cheikh Hamad ben Khalifa Al-Thani, qui détiennent déjà 10% de la banque, envisagent de monter leur participation à 25% avec le soutien de nouveaux investisseurs. Mais ils y mettraient une condition en réclamant que la banque modifie sa stratégie, jugée trop défensive.

Contenir la crise est dans l’immédiat la principale préoccupation du gouvernement allemand, afin si possible de passer le cap des élections de septembre 2017. Selon un sondage, 69% des allemands seraient en effet opposés à toute aide publique, alors que toute alternative va mettre du temps à se concrétiser et que les fruits de la politique de restructuration et de dégraissage de la Deutsche risquent fort d’être insuffisants. Déjà sur la défensive sur le dossier des réfugiés, Angela Merkel pourrait se voir sanctionnée par l’AfD, ainsi que par le FDP qui opérerait une remontée électorale, si l’argent des contribuables devait contribuer à un sauvetage.

La consolidation de la Deutsche va être une longue histoire faite de bouts de ficelle, qui ne fait que commencer et n’est pas à l’abri de mauvaises surprises. Si Commerzbank et Hypo Real Estate ont dès le démarrage de la crise bénéficié des meilleures intentions de l’État, la restructuration d’ensemble du système bancaire allemand engagée côté Landesbanken est restée en suspens. Une mise à plat serait nécessaire, car pour prendre un exemple, la rentabilité des capitaux propres du réseau des Sparkassen (caisses d’épargne), tomberait de 6,5% en 2012 à 2% si la BCE ne modifie pas sa politique de taux négatif, ce qui ne semble pas être spécialement dans ses intentions, car elle est conçue pour obliger les banques à faire un ménage dans leurs bilans qu’elles ont différé.

Le monde banquier met en cause cette politique de la BCE ainsi que la réglementation financière, demandant l’arrêt de la première et l’assouplissement de la seconde. Mais, selon la Banque des règlements internationaux, les 90 principales banques de la zone euro auraient entre 2007 et 2015 attribué 223 milliards d’euros aux dividendes sur 348 milliards de revenus. Cherchez l’erreur, quand vous devez renforcer vos fonds propres !

Selon le FMI, la rentabilité des capitaux propres des banques européennes aurait depuis le début de la crise chuté de 11,4 points en pourcentage, tandis que celle des américaines n’auraient baissé que de 3 points. Les banques européennes ne seraient-elles pas confrontées à des problèmes structurels qu’elles se refusent à affronter ?

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