Histoire de SCOP : Assemblée Générale Constituante ECOPLA, le 14 décembre 2016 à la Bourse du Travail de Grenoble, par Arnaud Castex

Billet invité.

AG ECOPLA 1ère Partie

AG ECOPLA 2ème Partie

Ils étaient onze et par un prompt renfort ils furent beaucoup plus lors de « l’Assemblée Générale citoyenne » d’ECOPLA ce mercredi 14 décembre 2016 à la bourse du travail de Grenoble.

Soit onze salariés de la Société ECOPLA, portant un projet de reprise en SCOP, quelques soutiens connus et de nombreux anonymes et enfin « 577 députés citoyens » venus décider (ou non) de soutenir les salariés dans leur combat.

Pour les soutiens connus : Charles Piaget (88ans), charismatique syndicaliste et « repreneur » des Usines Lip dans les années 70. Olivier Leberquier des SCOP-Ti (résurgence de l’usine de thé Fralib après un combat de 1336 jours).

Francois Ruffin, le rédacteur du journal Fakir, réalisateur et producteur du film « Merci Patron ».

L’économiste et philosophe Fréderic Lordon.

ECOPLA est une petite entreprise iséroise, issue de l’évolution du groupe industriel français Péchiney, ancien spécialiste de l’aluminium. Le groupe Péchiney a évolué au gré des chocs pétroliers et des concentrations des industries minières et métallurgiques, typiques du capitalisme du XXème siècle.

Profitable et financièrement saine jusqu’au début des années 2000, ECOPLA comptait une centaine de salariés, dédiée à la fabrication de moules en aluminium pour l’industrie agroalimentaire. Elle subit un authentique pillage par des fonds financiers à partir de 2006.

On pourra se persuader de ce scandale en lisant les sources en lien (notamment les articles de François Ruffin).
Mais le cas est édifiant. Notamment sur la désindustrialisation telle qu’elle se vit en France depuis des décennies, et la réalité de la prédation du capitalisme financier sur un capitalisme productif traditionnel jouant à plein. L’histoire regorge de ventes, rachats ; fond spéculatifs, investisseurs parasites, montages financiers internationaux « complexes », fond publics (CICE), pour aboutir au siphonage de la trésorerie de l’entreprise (plus de 6 millions d’euros quand même) et un désastre économique et social.

Rentrer un peu dans la chronologie et les détails de cette histoire permet cependant d’apercevoir la réalité du rapport de force existant en cas de liquidation, des salariés face au droit de propriété.

L’activité syndicale d’ECOPLA se développe face à une situation inquiétante à partir de 2010. Des expertises économiques demandées par le CE mettront clairement à jour « les difficultés » de l’entreprise en 2012. Un projet de reprise en SCOP est alors envisagé par les salariés pour sauver l’usine et l’activité. Il est proposé à l’actionnaire sans réponse de sa part en 2014.

De fil en aiguille la situation aboutit à la mise en redressement le 1er mars 2016 puis la liquidation le 22 mars 2016. Deux projets seront présentés au tribunal de commerce de Grenoble : l’industriel Italien Cuki Cofesco propose le rachat des dettes pour 1,5 million d’euros (équivalent aux dettes de la société vis-à-vis de l’URSAFF) contre l’achat des équipements de production, sans reprise d’activité sur site ni proposition pour les anciens salariés d’ECOPLA.

De leur côté, une dizaine de salariés propose de nouveau un projet sérieux de SCOP. Ce projet, déposé plus tardivement le 14 juin 2016, permettrait de préserver immédiatement 17 emplois puis 50 au terme de 3 ans, à travers un plan d’investissements soutenu par un apport de 2,3 millions d’euros, (dont 400 000 promis par la région), et un plan de commandes auprès de leurs anciens clients. Le 16 juin 2016 le tribunal de commerce rend une ordonnance choisissant la proposition de Cuki, évinçant le projet de SCOP des salariés. Le tribunal applique strictement le droit qui donne la priorité au remboursement immédiat des créances de la société liquidée. L’absence de réaction du représentant de l’État qui ne fait pas appel de l’ordonnance du 16 juin 2016 (donc du choix de Cuki), empêche ainsi tout recours ultérieur des salariés, et leurs deux appels ultérieurs sont rejetés en octobre et novembre 2016. Il leur resterait donc la cassation…

On voit ainsi que le droit consolide un rapport de force authentiquement défavorable à toute volonté « de la base » de s’organiser, notamment en SCOP.

Ceci est d’autant plus vrai face à l’inertie du système. On constate ainsi la complète passivité (incompétence ? complicité ?) des pouvoirs publics, Tribunal de commerce, procureur de la république, ministère de l’Économie.

  • Passivité dans l’absence de réactivité du tribunal de commerce devant une « dérive » économique évidente (entre 2012 et 2014).
  • Difficulté du calendrier rendant difficile voire impossible la constitution d’un dossier dans les délais impartis entre la mise en redressement et la liquidation.
  • Le fonctionnement des tribunaux de commerce pose également un authentique problème de représentation puisque les juges sont des commerçants ou chefs d’entreprises élus par leurs pairs. Ce qui ne peut garantir l’absence d’une « lutte de classe » défavorable à des projets portés par les salariés.

Plusieurs reformes de ces tribunaux sont d’ailleurs envisagées en raison de ce problème.

Priorité donnée au remboursement des créanciers (ici l’URSSAF donc l’État)

Mais comment expliquer également la passivité d’un procureur de la république dans ce qui ressemble à de l’extorsion dans un premier temps ? Puis la passivité (décidément) dans l’absence d’appel de la décision du Tribunal en 2016, bien aidé il est vrai par le droit et la priorité d’un remboursement des créances dans le cas d’une liquidation.

Mais aussi, un ministre de l’Économie qui reconnaitra l’impéritie de ses services et son « erreur » sur ce dossier. Malgré la mobilisation d’acteurs locaux des 2012, ses services ne répondront à aucune des nombreuses alertes en 2014. Emmanuel Macron ne communiquant finalement son impuissance aux salariés que le lendemain de sa démission en août 2016 (et suite à l’interpellation directe et médiatisée des salariés d’ECOPLA).

Quelques améliorations ont été apportées par la loi sur l’Économie Sociale et Solidaire du 31/7/2014 : droit d’information préalable des salariés en cas de cession (préavis de 2 mois) et création d’un statut transitoire de SCOP d’amorçage. Ce statut permet aux salariés de reprendre une entreprise sous forme de SCOP, tout en étant minoritaires au capital dans un premier temps, mais en détenant la majorité des voix. L’obligation pour les salariés de détenir d’emblée la majorité du capital n’étant ainsi plus nécessaire.

On voit bien dans le cas comme celui d’ECOPLA que ces droits ne peuvent avoir une efficience que dans la mesure où la dérive économique est détectée, et le projet accompagné, par les tribunaux de commerce, en amont de la liquidation.

Mais ne serait-il pas surtout indispensable d’instaurer un « Droit de préemption des salariés pour la reprise en SCOP en cas de règlement judiciaire ou de leur site en cas de fermeture et la création d’un organisme financier spécial chargé d’assister ces reprises quand elles peuvent être viabilisées », comme Frédéric Lordon le suggérait lors de l’AG du 14 décembre ? Et les élections de 2017 ne seraient-elles pas propices à une telle revendication ?

En attendant, le « droit au pillage » vit des jours plutôt tranquilles.

À la fin de cette fameuse Assemblée Générale flottait un parfum extraordinaire et enivrant de fraternité et d’espoir. Les récits de Charles Piaget et des Fra Lib n’y étaient pas pour rien. Et dans cette salle, rebaptisée salle Ambroise Croizat, tout le public avait décidé en chœur de soutenir les salariés d’ECOPLA au cours des prochaines semaines. Il était notamment décidé de réinvestir l’usine de Saint Vincent de Mercuze le 14 janvier 2017. Déjà cette mobilisation a permis d’éviter que les machines soient saisies le 21 décembre quand des camions de la société CUKI se sont présentés à l’entrée du site.

Alors quel bilan ? « ECOPLA Vivra »? Regardez les vidéos de l’AG et faites-vous une idée.

PS : Dernière minute ou presque : le 10 janvier 2017 aura lieu une réunion au ministère de l’économie…

Sources :

facebook/EcoplaSCOP/

http://www.liberation.fr/france/2016/10/20/ecopla-les-ex-salaries-deboutes-en-appel-le-ministere-public-mis-en-cause_1523239

http://www.scop.org/ecopla-scop-infographie/

http://fakirpresse.info/macron-nous-a-tuer-1-3

http://fakirpresse.info/macron-nous-a-tuer-2-3

http://fakirpresse.info/macron-nous-a-tuer-3-3

http://www.placegrenet.fr/2016/11/17/recours-rejete-ex-ecopla-appellent-ministre-de-leconomie/109843

http://www.economie.gouv.fr/ess-economie-sociale-solidaire/loi-economie-sociale-et-solidaire

https://fr.wikipedia.org/wiki/Tribunal_de_commerce_(France)

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