LE GRAND ARTISAN DU DÉMANTÈLEMENT DE L’EUROPE PERSÉVÈRE, par François Leclerc

Billet invité.

Quelle est la plus grande menace qui pèse sur l’Europe ? Certes, les négociations à propos du Brexit vont tourner plus ou moins à l’avantage de l’Union européenne dans sa nouvelle configuration, les mesures protectionnistes de l’abominable Donald Trump vont affecter à un degré ou à un autre les exportations vers les États-Unis et l’autocrate turc peut encore rouvrir ses frontières maritimes avec la Grèce aux réfugiés, mais c’est au sein même de l’Europe qu’il faut la rechercher.

Pour aller droit au but, aucun signal d’une évolution de sa politique européenne ne se manifeste outre-Rhin, d’ici les élections législatives de septembre prochain ou à leur suite. Symbolisant au contraire son renforcement à venir, Wolfgang Schäuble a déjà annoncé qu’il entendait continuer dans ses fonctions de ministre des finances, multipliant dès à présent les avertissements au Portugal et à la Grèce, les principaux points faibles.

L’été dernier, il n’a pas résisté à jeter de l’huile sur le feu au Portugal en évoquant un nouveau plan de sauvetage, intervenant dans le but manifeste de raidir les marchés sur lequel le gouvernement socialiste, appuyé par le parti communiste et l’extrême-gauche, se finance désormais. Ce qui lui a valu de se faire traiter de « pompier pyromane » par le président du groupe parlementaire socialiste, Carlos Costa…

Le ministre allemand a été plus loin, venant de prévenir la Grèce que si le FMI ne participait pas au plan de sauvetage en cours – faute d’obtenir de ses partenaires une baisse des objectifs des excédents budgétaire grecs – le programme s’arrêterait et il n’en soutiendrait pas un nouveau, le Bundestag ayant conditionné la participation du FMI à son acceptation. Il entend ainsi imposer ses conditions et continuer de faire plier le gouvernement grec, précipitant la tenue d’élections dont Syriza sortira défait. Le compte à rebours est à nouveau lancé, le gouvernement grec a d’importantes échéances de remboursement à honorer l’été prochain, et il ne pourra pas y faire face si un déblocage de la situation n’intervient pas entretemps.

Le ministre a de grands projets pour après les élections. Critiquant la Commission de Bruxelles pour sa souplesse et ses complaisances dans l’exercice de sa mission de surveillance des budgets nationaux – elle en a particulièrement fait preuve envers le gouvernement italien de Matteo Renzi – il entend la transférer au Mécanisme européen de stabilité (MES), qui est en de meilleurs mains, celles de Klaus Regling, disposant pour ce projet du soutien de la Bundesbank. Avec les mêmes intentions, il voudrait faire du MES une sorte de « FMI européen », afin de ne plus avoir à faire à ce partenaire devenu dérangeant.

Une fois ce plan concrétisé, Wolfgang Schäuble disposerait de tous les leviers lui permettant de continuer à mener sans obstacle sa politique. Ou presque, car il resterait l’os de la BCE. La tension à l’égard de la politique poursuivie par celle-ci monte fortement en Allemagne. Mario Draghi est accusé de rogner les revenus des retraités allemands en favorisant les bas taux obligataires, qui ont également comme effet de soulager la pression sur les gouvernements européens et de moins les inciter à réduire leur déficit. La montée du prix du pétrole est largement à l’origine de la montée de l’inflation et ne résulte pas de la poursuite de la politique accommodante de la BCE qui a évité la déflation, mais peu importe…

Il y a cependant un hic ! la BCE a pour mission d’atteindre une cible d’inflation pour toute l’Europe et doit tenir compte de fortes disparités de situation entre l’Allemagne et les pays du sud de l’Europe. Ceux qui exigent, afin que les taux remontent, que la BCE entame sans tarder la diminution de ses programmes non conventionnels font passer avant tout la défense des retraités allemands. Plus que tout autre, ils mettent en cause la cohésion de l’eurozone. Et en leur for intérieur, ils attendent la fin de mandat de Mario Draghi qui leur résiste…

Quelle magistrale leçon se prépare à être donnée ! Quelle réponse y apporter ? Celle du commissaire Pierre Moscovici mérite d’être rapportée : « Jamais la France n’obtiendra quoi que ce soit de ses partenaires européens, Allemagne en tête, si elle joue l’arrogance, si elle joue la brutalité, si elle joue le rapport de force obstiné, avec des propositions brutales et une économie convalescente ». Confondant de clairvoyance pour un expert qui préconise comme politique le suivi d’une « trajectoire de désendettement par la croissance »…

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