TRUMP ET LE NOUVEAU DÉSORDRE MONDIAL, par Stéphane Gaufrès

Billet invité.

« Listen, you motherfuckers, we’re going to tax you 25 percent! » Donald Trump à propos de la Chine, discours à Las Vegas, 2011. En français : « Écoutez, fils de putes, on va vous taxer à 25% ! »

Depuis son investiture, c’est à l’endroit des affaires étrangères que le nouveau président des États-Unis est le plus attendu, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Son attitude à venir face aux autres nations reste opaque pour les principaux analystes. Le monde des relations internationales semble irréconciliable avec le fond comme la forme de sa campagne, tout en étant au cœur de sa rhétorique isolationniste.

Le discours politique de Donald Trump s’est fondé sur une désignation de l’étranger comme bouc émissaire responsable de la situation des classes moyennes dans le pays. Même si des raisonnements plus réalistes lui ont été opposés pendant la campagne, l’heure de vérité sonne aujourd’hui, au moment où le président élu doit faire face à la réalité des relations internationales. L’inconsistance politique de la xénophobie devient franchement manifeste dès qu’un pas doit être fait hors des frontières, et M. Trump se trouve maintenant dans l’obligation de sortir de sa tour, car les changements qu’il prétend mettre en œuvre ne pourront se passer d’un discours protocolaire public face aux représentants et opinions publiques des autres nations. Celles-ci attendent la formulation nouvelle, forcément un peu plus diplomatique, qui va leur être attribuée. L’incertitude règne. Selon le sociologue Thomas Shapiro, repris par le New-York Times, « The essence of Trump’s foreign policy will be its unpredictability. »

Une autre incertitude concerne l’essence même du rapport au monde et à la politique de M. Trump. Sa carrière d’homme d’affaires puis « d’homme-marque » médiatique, puis de candidat à l’élection présidentielle s’est construite sur un rapport tonitruant et goguenard à ses adversaires, sur des mensonges patents mais toujours bien ciblés, dont il s’échappe systématiquement par la surenchère en s’assurant le rire complice d’un public. Ce public, qui lui a déjà permis de sauver son empire immobilier, il l’acquiert par avance grâce à sa prise de risque même, à son excentricité tapageuse et exhibitionniste, qui choque en apparence mais convainc au fond : un homme aussi crûment à nu est forcément sincère. Or ce modus operandi, prolongé après l’élection par les « tweets de politique étrangère », ne peut avoir le même effet sur le ventre mou des relations diplomatiques. Les chefs d’État visés haussent quelques sourcils, et surtout attendent. Dans les relations internationales, aucun « public » ne viendra sauver M. Trump, qui semble dans ce cadre-là fragile et seul.

Le manque d’informations est tel que la plupart des journalistes sont contraints de mener l’exégèse des quelques lignes d’informations disponibles depuis deux jours sur le site de la présidence, et de cette phrase en particulier, reprise de son discours sur la politique étrangère d’avril 2016 : « The world must know that we do not go abroad in search of enemies, that we are always happy when old enemies become friends, and when old friends become allies. » Cette phrase est également reprise dans son discours d’investiture du 20 janvier. « We will reinforce old alliances and form new ones. » À ce jour, les spécialistes ne peuvent qu’inscrire deux entités derrières ces mots : la Russie en tant que nouvel allié, et les nations de l’Otan comme (trop ?) vieux amis désormais admis seulement sous conditions. Les modalités de mise en œuvre des autres projets de Donald Trump en politique étrangère (renégociation ou dénonciation des traités de libre-échange, bras de fer avec la Chine, remise en cause du traité sur l’Iran…) sont à ce jour inconnues. Mais la seule préférence russe et la mise de côté de l’Otan augure un renversement des alliances entres les pays développés, inédit depuis la fin de seconde guerre mondiale. « Donald Trump is turning the world upside down. » (Stephen Collinson, CNN)

Jusqu’à ce jour, la domination militaire planétaire des États-Unis, doublée d’un expansionnisme commercial, le tout parfois qualifié d’impérialisme, était soutenue par ce « soft power » de l’idéal libertaire et démocratique qui semblait offert à tous. L’ouverture de la réussite économique ou universitaire aux étrangers sur le sol américain, tout comme les productions culturelles de masse du cinéma hollywoodien, jouaient le rôle de sentinelles avancées dans les cœurs des populations étrangères et préparaient le terrain du marché ultralibéral libellé en dollars. Avec le protectionnisme proclamé de M. Trump, les États-Unis semblent devoir perdre cette acceptabilité qui leur a facilité jusqu’ici un interventionnisme presque global. La nouvelle administration s’est donc trouvé un argument fédérateur pour une « campagne internationale » : la lutte contre l’État Islamique. Il semble cependant un peu faible pour remplacer le rêve américain qui tenait, parfois contradictoirement, une place dans beaucoup de cœurs à travers le monde, et que le nouveau président veut maintenant réserver aux seuls membres de la communauté nationale. La solution pour Trump sera peut-être de tenter d’universaliser son discours anti-élites et de le proposer aux peuples étrangers en court-circuitant les institutions représentatives, comme semble le suggérer ce commentaire de la politologue chinoise Helen Gao : « Ici, les réactions en ligne au discours de M. Trump ont été dominées par la colère et la confusion. Pour un nombre non négligeable de Chinois, cependant, ses piques contre l’élite du pouvoir de Washington ont eu un écho. L’inégalité des revenus, la perte d’emploi et un profond décalage entre le gouvernement et les gouvernés ne sont, après tout, pas des histoires étrangères à mes concitoyens. À long terme, la désaffection pour la chose publique, partagée par les deux pays, jouera probablement un rôle plus important dans l’élaboration des relations sino-américaines que la rhétorique incendiaire des dirigeants nationaux.»

Il y a malheureusement plus à parier sur la lecture de l’avènement de Trump comme celle de l’effondrement d’un empire semblable à l’éclatement du bloc soviétique, comme l’a fait Paul Jorion et ci-après l’écrivain et éditeur russe Maxim Trudolyubov : « Une chose dont mes compatriotes discutent constamment est l’objectif fondamental de notre pays: Est-ce une superpuissance redoutée par ses voisins ou un pays axé sur sa prospérité et son bien-être ? Ces deux choses ne se contredisent pas nécessairement, mais à certains moments historiques, elles peuvent commencer à être perçues comme mutuellement exclusives. Cela est arrivé à l’Union soviétique à la fin des années 1980. Un processus semblable est en cours aux États-Unis depuis maintenant un certain temps. »

Le premier indice sur lequel on pourra évaluer la politique étrangère de Donald Trump sera peut-être son attitude face aux voisins immédiats du pays, et particulièrement au Mexique, où la situation déjà dégradée de l’économie et des institutions ne demande qu’à exploser : « À en juger par la façon dont beaucoup de gens sont dans la rue au Mexique, il est probable que la colère pourrait se transformer en agitation plus significative. Lors d’une récente visite dans une usine automobile de Toluca, dans le centre industriel mexicain, j’ai entendu dire aux travailleurs combien ils avaient peur de perdre leur emploi si l’administration Trump appliquait une taxe de 35% sur les voitures mexicaines. « Si cette usine ferme, ce ne sera pas juste pour moi, ça va être mauvais pour toute cette ville », a déclaré Daniel Ruiz, un ouvrier. « Les choses pourraient devenir vraiment désordonnées ici. » » Ioan Grillo, Ecrivain mexicain. (Page de témoignages du New York Times.) Le président Pena Nieto, qui sera reçu avant la fin du mois à la Maison blanche, est au plus bas des sondages d’opinion. D’ores et déjà, l’élection de Trump a eu pour conséquence une chute du peso entraînant une hausse de beaucoup de produits de première nécessité. Des manifestations parfois violentes et désespérées, émaillées de pillages et de sabotages entretiennent la tension depuis début janvier. Donald Trump aura à décider de maintenir sa ligne ou de risquer d’embraser un pays mitoyen et très lié aux États-Unis. Réponse dans 10 jours.

Il n’y a qu’une certitude parmi toutes ces incertitudes : le populisme xénophobe qui semble émerger un peu partout dans les pays occidentaux a l’ambition de redéfinir les frontières et les alliances en faisant table rase de tout raisonnement lié à un universel humain, et ce n’est pas qu’une promesse de campagne. On ne peut pas dire bien sûr que l’altruisme prévalait auparavant, mais certaines « amitiés » historiques et proximités morales semblaient tempérer le face-à-face brut et nu des intérêts particuliers des nations. Où est l’alternative ? Il faut prendre acte de l’échec de « l’ouverture » ultralibérale, au niveau mondial ou européen, qui est précisément pointé par le vote protestataire grandissant. Les théoriciens de gauche de la fin du XIXe siècle pensaient déjà la double fracturation du monde : selon les frontières entre les classes, et selon les frontières entre les nations. L’Internationalisme n’était pas une volonté de puissance prométhéenne mais une tentative pour résoudre un des termes principaux du problème. En 2017, il semble parfois que la pensée politique humaniste n’a pas avancé d’un millimètre sur ce point, et laisse les individus sans théorie valable quant aux lignes de fractures réelles des groupes humains, inscrits malgré eux à un registre mondialisé concurrentiel et inégalitaire entre nations, tout autant qu’entre individus.

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