Refondation de l’économie politique sous le psychodrame présidentiel français, par Pierre Sarton du Jonchay

Billet invité.

Depuis le Tartuffe de Molière, les Français sont artistes à débusquer les distorsions entre le dire et le faire. Spécialement entre ce qui se dit sur la place publique et ce qui se fait dans les chambres privées. La place publique est le lieu des apparences et des intentions proclamées par le discours et les gestes visibles. Le domaine privé est le lieu de la vérité ou chacun est ce qu’il fait ; où les intentions s’expriment dans les actes par des gestes nus ; où la parole, l’écrit et le théorique sont vérifiables par l’expérience sensible, par l’interaction physique sans l’habillage de la virtualité discursive. Dans le huis clos des affaires privées, le sens du dire est immédiatement illustré par le faire.

Pas d’économie sans incarnation

Les révélations sur les affaires privées du candidat Fillon est un passage obligé pour un prétendant bien placé à la présidence de la République. Le Président de la République n’est pas dans la tradition française juste un homme politique ou un chef d’entreprise fût-elle étatique. Il incarne les finalités communes possibles de la société. Il rend possible l’unité d’action du corps social national. Il représente le pouvoir de juridiction de la personne morale d’État. Il faut donc que les citoyens puissent se sentir moralement liés par la médiation personnelle de leur président.

Les affaires privées du Président font partie du commun de la nation française : pas en tant qu’elles sont privées mais parce qu’elles font référence et norme. La nation fait la production de biens commune ; des biens produits par un ensemble de personnes distinctes qui font société ; une production active par des corps sociaux mis en cohérence par la représentation d’un président. Le président est une personne physique dont l’existence privée est publiable afin de modérer toutes les représentations sociales au service de l’entreprise politique des biens communs.

Le président a deux corps dans la société dont il incarne l’existence. Il y a le corps privé du citoyen qui a les mêmes droits et responsabilités que tous les autres. Et il y a le corps public virtuel qui appartient à la société politique nationale. Il représente l’unité de la loi qui fait l’égalité de tous. Par l’élection de son président, la nation française est monarchie de la Loi égale pour tous. La même loi s’applique aux petits et aux puissants, aux riches et aux pauvres, aux nationaux et aux étrangers. La personne du président incarne l’égalité possible et nécessaire des citoyens de toute condition dans un bien commun.

Même si jusqu’à preuve du contraire le candidat Fillon n’a pas enfreint la Loi, la question est posée de l’adéquation de son programme politique présidentiel à sa personne privée. La question est massive parce que le cas particulier est emblématique du système économique et du régime politique qui l’instaure. Le cas Fillon pose quatre questions d’économie politique. Comment les rémunérations en monnaie sont justificatrices de productions réelles de biens licites ? Comment la société vérifie-t-elle que les lois qu’elle se donne sont effectivement appliquées aux biens qu’elle désire ? Comment et par qui les sociétés sont représentées pour délibérer, exécuter et juger de l’application des lois qui les constituent ? Comment les pouvoirs institués par les lois servent des biens universels ?

Nihilisme libéral, économie virtuelle

Dans le contexte de l’économie politique libérale où se placent les candidats de « droite » et de « centre-gauche », il n’y a pas d’autre moyen que la parole et l’écriture privées pour vérifier la réalité et la licéité d’une prestation rémunérée. Il en découle une expérience contradictoire dans la réalité : la monnaie qui règle une dette a un pouvoir libératoire universel mais la société qui établit le droit mesuré par la monnaie ne peut pas en valider la contrepartie réelle. Si le service rémunéré est un travail où le créancier est le subordonné de son débiteur, la société n’est pas convoquée pour veiller à l’égalité des droits et devoirs entre créancier employé et débiteur employeur.

Le cas Fillon illustre l’étendue du soupçon de corruption que le secret des affaires privées induit sur la réalité et l’effectivité du bien commun public. L’hypothèse libérale de la neutralité monétaire a pour conséquence de laisser à la responsabilité privée subjective la preuve de réalité commune du bien effectif contre paiement en monnaie. La virtualité monétaire libérale induit la fiction d’équité du contrat de travail : le salarié et l’employeur sont prétendument à égalité de droit et de pouvoir alors que l’existence-même du salarié est subordonnée au calcul individuel « libre » du seul intérêt de l’employeur.

Le paradigme libéral confond la réalité du travail dans la virtualité du calcul : il est inutile de vérifier la réalité publique du bien s’il y a paiement en monnaie ; il n’est pas nécessaire de publier les affaires d’un vendeur quand bien même en achetant du travail il impose sa propre conception du bien à la personne de ses salariés créanciers. Les libéraux font semblant de ne pas voir que si les affaires privées des acheteurs de travail restent secrètes et si la rémunération du travail en pouvoir d’achat monétaire reste sous la seule responsabilité de l’employeur privé, alors la monétisation des biens est exclue du commun.

Par la monnaie neutre émise par du capital privé hors de toute souveraineté politique, la systémique libérale instrumentalise la monnaie en droit de propriété de quelques-uns sur les sociétés qui solidarisent les personnes. La compensation monétaire des dettes par les créances légales, les paiements et les biens réellement livrés appartient à des intérêts privés et non aux sociétés de citoyens libres et responsables d’eux-mêmes. Dans l’actuelle compensation interbancaire en monnaie légalement neutre des banques centrales dites indépendantes, le pouvoir de présider, de diriger et de juger est dans sa valeur et sa réalité mêmes dissimulé dans la masse des transactions privées.

Monnaie neutre, économie du non-sens

En économie politique libérale, le règlement en monnaie neutre signale des biens et des services sans que personne ne puisse vérifier publiquement la réalité selon la loi commune ni identifier précisément les bénéficiaires et contributeurs véritables. Les contreparties du travail de présidence, de délibération et d’arbitrage ne sont pas identifiables et donc pas mesurables. Une rémunération en monnaie libérale ne fait aucune différence concrète entre un vrai travail et une corruption du jugement public ou une destruction nette de valeur.

Le programme Fillon d’assainissement libéral de l’État de droit social français est donc vidé de sa consistance par les pratiques-mêmes de la personne privée de son candidat, quelles que soient sa probité et ses intentions véritables. La position du concurrent libéral de gauche est tout autant fragilisée pour la même raison. La loi travail a aboli la primauté de la loi nationale et la préséance de l’État dans le fonctionnement du marché du travail. Tout le discours du « candidat en marche » dévalorise la responsabilité de la personne morale de l’État et de ses corps intermédiaires dans l’équilibre et la justice des rapports économiques entre le travail et le capital.

L’économie politique libérale est de fait par l’hypothèse de la monnaie neutre et de la compensation exclusivement privée, un système de corruption libre de la chose publique. Les sociétés ne sont pas délimitées par l’identification publique de leurs membres individuels solidaires. Les intérêts particuliers qu’elles défendent ne leur sont pas rattachables. La mesure du capital investi dans la production réelle est inconsistante. Les dettes ne sont pas garanties par des droits de propriété réalistes donc fiscalisables.

Un candidat à la présidentielle française qui ne dit pas comment il faut renationaliser la monnaie, comment il faut réguler le crédit, comment il faut mesurer le capital par la loi, et comment il faut assurer le travail par la société politique, est un irresponsable ou un cynique. La monnaie est un instrument de souveraineté par laquelle la même loi s’applique dans un même marché entre tous les ressortissants égaux en droit d’un même État. Le prix commun public de la justice entre les citoyens, c’est la fiscalité de la consommation, du capital et des revenus.

Économie de la réalité, monnaie compensable dans la Loi

L’économie numérique réduit radicalement les coûts d’information de l’économie politique des biens demandés par l’ensemble des citoyens. Le travail politique des biens peut désormais distinguer facilement le gouvernement des sociétés et l’administration des choses. Le gouvernement est l’interprétation des lois dans les échanges entre les citoyens en vue de l’équité en droit par la quantification monétaire. L’administration des biens dissociée de la justice entre les personnes signifie la différenciation intelligible par la monnaie de la finalité d’égalité politique et de la finalité d’équité économique.

La fiscalité est l’outil de convertibilité de la monnaie d’assurance politique des droits en monnaie d’équité économique du travail. La fiscalisation économique équitable de toutes les transactions implique l’identification systématique de la personne qui vend comme garante du prix réel licite du bien servi ; et de la personne qui achète comme assureur primaire des droits des personnes qui produisent derrière celui qui vend. Le prix de la justice universelle entre l’acheteur et le vendeur est la fiscalité spécifique à chaque bien, prélevée par la personne morale étatique en financement de la dépense publique.

Le financement de l’assurance des droits du citoyen par la monnaie implique que la compensation interbancaire ne soit plus entre des mains privées camouflées par le secret bancaire mais soit une fonction du pouvoir judiciaire de l’État de droit. Un banquier dépositaire en monnaie du prix du travail de droit des personnes ne peut pas être agent d’intérêts privés : il doit être magistrat de l’ordre judiciaire sous contrôle public permanent de la ligne de responsabilité qui le lie personnellement au Président de la République élu par les citoyens personnes physiques.

Un président est le premier magistrat à l’intérieur d’une société de droit. Il est par son corps public virtuel la garantie de l’égalité entre les personnes quels que soient leurs pouvoirs et leurs fonctions. Cela signifie qu’un président est juge de l’indépendance économique permanente des magistrats qui sont arbitres de l’adéquation des prix à la légalité de tous les biens et services nécessaires et utiles aux citoyens.

La monnaie d’assurance politique est propre à une souveraineté nationale. Elle mesure le prix d’un seul système de droit, d’assurance et de justice. Une monnaie nationale légale ne peut pas avoir de pouvoir libératoire hors de l’État où elle est émise et gérée. Il doit être impossible à des nationaux de se libérer de leurs obligations domestiques par une monnaie étrangère échappant au contrôle de la démocratie nationale. La « liberté » actuelle de circulation internationale du capital en euro-dollar est pure escroquerie contre la civilité.

Tuer la mythologie libérale par la souveraineté monétaire

Pour que la monnaie soit matérialisation non librement falsifiable du droit, il faut interdire sa circulation privée hors la présence de la personne étatique publique qui garantisse les droits des transacteurs et de toutes les sociétés qu’ils représentent. La circulation monétaire licite ne pourra plus se matérialiser autrement que par des écritures informatiques systématiquement rattachables à des acheteurs et des vendeurs, lesquels soient personnellement et physiquement protégés par une souveraineté nationale.

Comme instruments explicites de contournement de la responsabilité étatique souveraine, l’Union Européenne et la zone Euro sont la cause de l’effondrement actuel de la civilisation. L’absence d’État confédéral interdit la souveraineté organisée et responsable de la société européenne multinationale. Chaque État national siphonne la matière fiscale de ses partenaires et se déleste de ses responsabilités politiques d’économie commune sur une administration communautaire non élue et non évaluable.

Si le prochain Président de la République Française prétend au redressement des comptes sociaux, publics et bancaires dans un État de droit renouvelé, il n’a que deux options en matière monétaire : fonder un gouvernement confédéral souverain de la zone euro ou fonder une chambre de compensation purement française qui ôte tout pouvoir libératoire à des euros non compensables en France. Dans l’option confédérale, le nouveau gouvernement de l’euro devient garant fiscal de tous les euro circulant à l’intérieur de la souveraineté européenne multi-étatique.

Le prix de l’assurance confédérale des droits européens du citoyen est émis par la dette publique confédérale garantie par une fiscalité spécifique. Les pays membres actuels de l’euro qui ne voudraient pas contre-garantir la dette publique européenne par leur contribution au budget communautaire, reconnaîtraient à la collectivité des États nationaux confédérés le droit d’appliquer une fiscalité commune à leur frontière avec les non-confédérés. Par exemple, l’Europe méditerranéenne confédérée appliquerait une taxe sur la valeur ajoutée différenciée selon les équilibres nationaux des comptes publics et inter-étatiques.

Ainsi l’Allemagne pourrait ne pas garantir la dette publique confédérale, ne pas participer au gouvernement confédéral, maintenir la circulation papier de l’euro sur son territoire mais serait en contrepartie obligée de concéder une dévaluation fiscale de l’euro confédéral par rapport à l’euro germanique. La dévaluation se ferait par une taxation de tous les règlements financiers dans les États confédérés : le rendement en serait très élevé pour des taux très faibles. Grâce à la digitalisation intégrale de la monnaie, il n’y aurait plus de fuite de la matière fiscale ; toutes les fausses valeurs de l’économie de la corruption seraient taxables à proportion de leur coût pour la collectivité ; toutes les compétences humaines seraient valorisables par leur identification sociale monétisable.

Démocratie numérique et compensation du réel

La digitalisation de la monnaie et la fiscalisation de toutes les transactions par les souverainetés étatiques restaurées revient à créer un marché unifié public du travail en y intégrant les marchés actuellement cloisonnés des biens, du crédit et de l’assurance des droits humains sociaux par le capital.

Si la compensation interbancaire du crédit est interdite entre des systèmes juridiques différents, sauf à être assurée par une monnaie confédérale distincte ; si la compensation du crédit est interdite sans la prime de capital spécifique mesurable qui le garantit ; et si la compensation du capital est interdite sans la prime de travail déposée en droit national qui garantit le prix de chaque capital social ; alors il y a substitution économique des sociétés solidaires par le vrai marché à la guerre financière libérale anti-économique de quelques-uns contre tous.

Le cas Fillon est anecdotique du point de vue des sommes en jeu et de la pratique générale actuelle. Mais son impact est infini du fait que les élites de pouvoir et les puissances d’argent se battent entre elles pour récupérer les plus beaux débris du non-système en faillite de l’économie virtuelle libérale. L’intérêt du peuple qui ne vit que des effets de son travail est d’instaurer l’économie réelle du revenu universel : les souverainetés nationales solidaires par une loi fiscale de compensation politique des monnaies assurent l’existence de chaque citoyen dans une production commune des biens.

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