GRANDE RECONFIGURATION DANS LE DÉSORDRE, par François Leclerc

Billet invité.

L’Allemagne est une des cibles favorites des sorties de Donald Trump et de l’entourage qu’il s’est donné. Certes, la mise en cause de ses énormes surplus commerciaux * n’est pas nouvelle, venant des États-Unis, des organisations multilatérales ou de la Commission européenne, mais elle a pris une toute autre dimension avec l’accusation de manipulation de l’euro formulée par Peter Navarro, le conseiller commercial du nouveau président. La sous-évaluation de la monnaie commune procurerait un avantage concurrentiel expliquant le volume des importations allemandes aux États-Unis, au détriment de l’industrie américaine et de l’emploi. Vrai ou faux ?

Nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la guerre des monnaies, où il n’est question que de manipulation de celles-ci, que ce soit par l’Allemagne, la Chine ou le Japon, c’est à dire par tous les grands pays exportateurs. Quelle suite peut-on en attendre ? Des mesures de rétorsion bien dans l’air du temps vont-elles être prises par Donald Trump ?

Dans l’immédiat, il va renégocier l’Alena, ce vieil accord de libre-échange qui lie les États-Unis, le Canada et le Mexique, qu’il a traité de « catastrophe ». Le traité transpacifique est mort-né et son équivalent transatlantique à l’agonie. En l’espace de quelques semaines, on est passé de la défense de la mondialisation à sa disparition en tant que référence obligée. Et c’est le gouvernement américain qui en porte la responsabilité, qui l’eût cru ! Dans tous les domaines, la réglementation est condamnée, les rapports de force font la loi.

Wolfgang Schäuble a immédiatement détourné les accusations de Peter Navarro vers la BCE, le véritable coupable selon lui : c’est sa politique qui est à l’origine de la faiblesse de la monnaie commune. Revenant dans le Tagesspiegel sur ses relations avec Mario Draghi, il s’explique : « Je lui avais promis de ne pas le mettre en cause publiquement, mais je ne veux pas être critiqué pour les conséquences de sa politique ». L’offensive contre Mario Draghi continue de prendre corps, le plaçant isolé sur la défensive, alors qu’il continue de gérer la crise bancaire.

Quoi qu’en dise Wolfgang Schäuble, l’euro faible est bien la conséquence de la politique européenne du gouvernement allemand, à défaut de sa manipulation directe. Les règles fiscales qu’il défend bec et ongles font obstacle à l’investissement, et la désastreuse gestion de la crise européenne qui en découle contribue à sa faiblesse. Se présentant comme modèle à suivre, le gouvernement allemand considère son surplus comme le signe de sa puissance économique et de la faiblesse de celle des autres. Au prix de l’approfondissement de la crise européenne.

Cela place la BCE dans une situation impossible. Avoir une politique monétaire commune à toute l’Europe – la mission qui lui est attribuée – devient de plus en plus malaisé et l’expose à la critique publique. L’oubli de ce qui était un interdit prélude à sa reprise en main d’une manière ou d’une autre.

Angela Merkel, qui fait face à l’impressionnante remontée dans les sondages du SPD avec la venue de Martin Schulz, est également de plus en plus tiraillée en interne. Elle se trouve sous la pression conjuguée de son allié bavarois, la CSU, de l’AfD à l’extrême droite, et même de Wolfgang Schäuble qui joue sa propre carte. Au sortir du sommet informel de Malte, dans l’attente de la célébration du 60ème anniversaire du Traité de Rome fin mars, elle a déjà pragmatiquement tiré la conclusion de la confusion régnant en Europe : « Il y aura une Union européenne à différentes vitesses, tous les pays ne vont pas participer à chaque fois à toutes les étapes d’intégration  ».

Quels pays formeront le noyau central de cette Europe à la carte, l’avenir de l’Italie étant en balance ? Une telle Europe ne sera-t-elle pas encore plus complexe à gérer ? Remises au goût du jour, les coopérations renforcées fournissent un cadre, mais pas une politique. En attendant, voilà qui revient à faire de nécessité vertu, mais ne règle toujours rien à propos des déficits, de la dette… et de l’état du système bancaire.

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* Selon l’Institut allemand Ifo, le surplus commercial du pays était proche de 300 milliards de dollars en 2016, d’un volume supérieur au chinois.

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