Le Monde – L’Écho, « Lord Adair Turner administre la preuve qu’il sait désormais mieux que personne comment fonctionne la finance », mardi 14 mars 2017

Le Monde : « Lord Adair Turner administre la preuve qu’il sait désormais mieux que personne comment fonctionne la finance »

L’Écho : Adair Turner et l’épiphanie permanente

Dans son nouveau livre intitulé Between Debt and the Devil. Money, Credit and Fixing Global Finance  (Entre la dette et le Diable. L’argent, le crédit et comment réparer la finance globale), Lord Adair Turner qui fut de 2008 à 2013 à la tête de la Financial Services Authority, le régulateur des marchés financiers britanniques, nous relate son épiphanie : de naïf qui n’avait strictement rien compris à la finance, à témoin éclairé qui a aujourd’hui et de manière aussi absolue, tout compris. J’ajoute cela sans ironie : Lord Turner administre dans son livre la preuve qu’il sait désormais mieux que personne comment fonctionne la finance, les exemples en abondent page après page de ce livre qu’il faut recommander sans réserve.

Le 13 septembre 2008 déclare Lord Turner, soit trois jours avant l’effondrement de la finance internationale, « Je n’avais pas la moindre idée que nous étions à la veille d’un désastre ». Il n’était pourtant pas le premier venu : il avait dirigé la Confédération de l’industrie britannique ainsi que le Comité britannique sur le changement climatique, il avait été de 2000 à 2006, Vice-président pour l’Europe de la banque d’affaires Merrill Lynch.

Mais depuis, ses yeux s’étaient décillés, il savait en particulier désormais que la « science » économique ne vaut rien, que la Théorie du marché efficient qui lui est centrale est fausse et que la Théorie des anticipations rationnelles, tout aussi centrale, est fausse elle aussi. « Il est impossible de voir se profiler une crise, écrit-il, si vos théories et vos modèles supposent que cette crise est impossible ». Il savait que si une économie dirigée est inefficace parce que le planificateur ne peut pas savoir tout ce qu’il lui faudrait savoir, une économie laissée à elle-même n’est pas plus efficace parce que le marché ne peut pas non plus savoir tout ce qu’il devrait savoir. Il savait qu’une économie qui compte trop sur le crédit sera déséquilibrée et fragile et il savait aussi que dans une société où règnent des inégalités crasses, l’argent sera trop rarement là où il devrait être, et que du coup, cette économie comptera trop sur le crédit.

La crise des subprimes a été pour Lord Turner son chemin de Damas, c’est là que les écailles lui sont tombées des yeux, et que les vérités dont il vient d’être question lui sont apparues une par une. D’où le sentiment pour les lecteurs, témoins de son expérience, qu’il vit depuis près de dix ans une épiphanie permanente ayant métamorphosé un benêt en visionnaire.

Faut-il le croire ? J’en doute, le phénomène étant bien trop rare. Je soupçonne Lord Turner d’avoir vu venir la crise des subprimes même de manière un peu indistincte. Je le soupçonne d’avoir eu une mauvaise opinion de la Théorie du marché efficient ainsi que de celle des anticipations rationnelles avant que l’effondrement de la finance internationale ne vienne les infirmer une fois pour toutes. Je le soupçonne d’avoir deviné que les marchés sont ignorants et stupides, sinon quand il dirigeait un grand syndicat patronal, du moins quand il était numéro 2 de Merrill Lynch pour l’Europe.

Pourquoi cacherait-il son jeu ? Parce qu’il a récemment appris à ses dépens que c’était de meilleure politique que de jouer cartes sur tables. Parce qu’à une époque où il était pressenti comme successeur probable de Mervyn King au titre de Gouverneur de la banque d’Angleterre, il a eu l’imprudence dans une revue – Prospect – qu’il imaginait trop intellectuelle pour retenir l’attention des banquiers de la City, de dresser la liste des activités financières qui lui paraissaient « socially useless » sans intérêt sur le plan social, proférant des horreurs comme d’affirmer que trop de finance parfois nuit. C’était plus que ce que les oreilles de la City pouvaient entendre. Au lieu d’être aujourd’hui Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Lord Turner est, de manière bien plus inoffensive, président de l’Institute for New Economic Thinking fondé par Georg Soros. 

Adair Turner, Between Debt and the Devil. Money, Credit and Fixing Global Finance, Princeton University Press 2016 

Adair Turner, « How to tame global finance », Prospect, August 27, 2009

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