Dimitri et Déméter, par Panagiotis Grigoriou

Billet invité. Ouvert aux commentaires. Sur son propre site greekcrisis.fr

La Grèce entre dans son unique Semaine (dite) sainte de l’année. Bientôt Pâques, sans toutefois la moindre trace de grande… Résurrection collective. Cependant, les Grecs se préparent à la fête, la plus grande du calendrier comme du vécu orthodoxe. Et de toute manière, arrive un moment où l’on ne peut plus faire durer l’accablement éternellement, pour ainsi rompre avec le venin ambiant, même si ce n’est que brièvement. Semaine sainte.

Presse supposée gratuite. Athènes, avril 2017

Le plus loin possible des Tsiprosaures, (ces derniers ont encore avalé la pilule du récent Eurogroupe à Malte, pilule et alors ciguë de l’énième train de mesures mémorandaires), les Grecs iront si possible fêter Pâques en famille, après avoir massivement quitté les villes. La parentèle… pascale grecque étant très exactement synonyme de ruralité ; mais encore de “retour” à un passé finalement lointain et d’abord phantasmé.

Trois quart des Athéniens demeurent cependant liés à “leur” village d’origine, et même si la crise a suffisamment empoisonné l’ensemble des relations, familiales, amicales, amoureuses ou professionnelles, le retour au village, notamment à l’occasion de Pâques, incarne encore cette ultime victoires de la vie… contre la mort dans ce pays, croyance religieuse ou pas d’ailleurs.

Pâques c’est alors le plus grand des moments actuels, et les derniers manifestants de la semaine dernière, plus symboliques que jamais, ont déjà rangé leurs banderoles, on dirait pressés d’en finir, à l’instar de ceux du PC grec, vendredi 7 avril place de la Constitution. Nos touristes, quant à eux, très nombreux et largement plus décontractés que les autochtones… ils découvrent au même moment les douceurs helléniques, sous l’Acropole exactement. “Ah tiens, les Grecs manifestent encore…”. Attractions grecques !

Non loin de la capitale, sur les plages de l’Attique, les enfants des migrants finissent aussi par laisser éclater toute leur joie du jeu, devant cette mer Égée parfois de tous les dangers. Dans un sens, la résurrection ne serait alors qu’une affaire d’instant présent, quelle que soit la façon dont on aborde finalement la condition humaine.

Petites joies et alors immenses peines en ce moment qui reste le nôtre, et où, la corruption des esprits comme celle des pratiques (pas qu’en politique finalement) finirait par tout emporter, car notre dite “crise”, n’est d’abord qu’une forme de guerre. Humanité perdante et perdue ; sur un mur d’Athènes, une main invisible a pu tracer ceci à la craie: “Nous avons perdu”. Vraiment ?

Touristes et passants. Athènes, avril 2017
Enfants des migrants sur une plage d'Attique. Avril 2017
“Nous avons perdu”. Athènes, avril 2017
Manifestants du PC grec. Place de la Constitution, le 7 avril 2017

Faits supposés trop divers, sous la colline du Lycabette, c’est sur le square de Dexameni (réservoir d’eau) que l’on apprendra par exemple que Déméter (animal presque adespote), est alors perdue, authentique drame… inter-espèces de ce quartier construit autour de l’ancien réservoir de l’aqueduc de l’empereur romain Hadrien, et autant, secteur chic du centre historique d’Athènes. Il y a plus d’un siècle, le grand écrivain grec Aléxandros Papadiamántis y prenait quotidiennement son café et ce même établissement vient de rouvrir récemment (2012), en dépit de notre ère venimeuse, voilà enfin pour la vie et autant pour… sa résurrection.

Perdu aussi, sauf (notamment) dans notre meilleure des mémoires humainement encore vives de notre vécu personnel, l’anthropologue Dimitri Karadimas , il a été l’un des amis de la bande très soudée que nous formions à l’époque des années d’études à l’Université de Paris-X Nanterre et en ethnologie. Dimitri, le nôtre, est récemment décédé à Paris (suite à un cancer), et voilà sans doute pas par hasard son dernier (me semble-t-il) texte publié… sur les tissus funéraires préhispaniques du Pérou . Nous laisserions tant de races numériques paraît-il après nous, contrairement à Anaximandre…

Notre petite bande d’ami(e)s d’alors et de toujours en sort finalement très secouée, Arnauld, Anne, Lucienne, Laurent et Flora ; peut-être aussi parce que Dimitri, c’est le premier… grand partant d’entre nous. Souvenirs et alors mémoire commune d’une époque où nous croyons qu’il fallait encore (trop) croire. Souvenirs toujours, Dimitri dont le père était grec, aimait parfois boire son ouzo comme nous, en face de l’île d’Égine, voire, si possible sur le port d’Égine.

Déméter... perdue près du Lycabette. Athènes, avril 2017
Notre ami Dimitri Karadimas au Mexique (années 2000)
Athènes, les autres Cariatides. Avril 2017

Et dans Athènes, les vieux disques et autant souvenirs pas toujours rayés, se vendent par dizaines chez les brocanteurs, entourés comme il se le doit de tant de vieux lexiques et revues, et notamment celles du “Droit du Travail”, forcément de jadis (revues et… Droit).

La ville et le pays visitables et visités, sous le soleil de la Résurrection que nous espérerons seulement pour Pâques, les badauds s’attardent parfois comme jadis Dimitri, devant cette maison aux… Cariatides au bras croisés (comme notre ami Dimitri sur sa photo du Mexique), sa construction date de 1880, et l’architecture ornée de la sorte avait été consacrée à la mémoire de deux jeunes sœurs décédées seulement quelques années auparavant. Henri Cartier-Bresson l’avait aussi photographiée, puis, le peintre grec contemporain Yannis Tsaroúchis s’en était inspiré. Autre temps ?

Les autres Cariatides d'après Henri Cartier-Bresson
Les autres Cariatides d'après Yannis Tsaroúchis
La maison des autres Cariatides vers 1970

Comme alors à l’écoute d’un vieux disque rayé, nous discernerions à peine la signification subsistante de cette unique Semaine dite sainte (que les Grecs nomment en réalité “Grande semaine”) en cette année 2017, et à chaque année finalement.

En paraphrasant à peine Cornelius Castoriadis (“Thucydide, la force et le droit” – 2011), je dirais que la guerre, autrement dit la “crise” est bien passée par là ; par son énorme déploiement de violence et avec une plus grande corruption. Cette corruption qu’engendre cette guerre/crise alors “maître violent” est admirablement décrite par Thucydide dans le passage sur la guerre civile à Corcyre : inversion des significations des termes du langage, haine et mensonges généralisés, rupture des liens les plus élémentaires entre humains, goût du pouvoir et cupidité couverts par de grands mots.

Katia Charalambaki, psychiatre à Athènes, dresse dans son récent essai, tout le tableau bien sombre des effets de la crise, sous le titre “Le déclin de la famille grecque sous les effets de la crise”.

“Les gens se battent pour de l’argent, pleurent pour l’argent, et ils iront jusqu’à blâmer les leurs pour des histoires d’argent. Et comme je le constate trop souvent durant mes séances de thérapie, ils régressent, perdant alors toute leur capacité d’être comment dire… encore porteurs de sens. Ils parlent de la nourriture, des biens matériels, de l’argent, du temps, se montrant désormais ignorants sur ce qu’ils symbolisent, et quant au type de valeurs qu’alors tout cela représente pour nous. Par exemple, un couple l’autre jour, était fortement en désaccord au sujet d’un incident à travers lequel, le mari avait refusé de donner à sa femme… un billet de 5 euros. Ils se sont donc violemment bagarrés, entre alors hurlements incroyables… pour seulement savoir, si c’était mercredi ou vendredi que l’épisode des 5 euros avait eu lieu” (presse grecque, avril 2017) .

Lexiques et revues du Droit du Travail de jadis. Athènes, avril 2017
Vieux disques. Athènes, avril 2017

Votre humble blogueur, épuisé par la toxicité des faits supposés marquants, s’éclipsera durant une petite semaine. Pâques, comme on dit au village et en famille, animaux adespotes et mémoire des amis compris.

Animal adespote. Athènes, avril 2017

* Photo de couverture: Près de l’île d’Égine. En Attique, avril 2017

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