BERLIN A LE DERNIER MOT, par François Leclerc

Billet invité.

Emmanuel Macron espère entrebâiller une porte, Martin Schulz vient à son tour d’en assurer la fermeture. Pas question d’euro-obligations, a-t-il asséné, que ce soit pour financer un fonds d’investissement européen ou les émissions à venir de la dette ! Dans une interview au Frankfurter Allgemeine Zeitung, le dirigeant social-démocrate compare à « un fantôme » le débat à propos de la mutualisation, et prévient que celui sur les euro-obligations est « terminé ». Il se contente de renvoyer au Mécanisme européen de stabilité (MES) au sein duquel chaque pays est responsable au prorata de son apport au capital, suivant la clé utilisée pour la BCE.

Bruno Lemaire, le nouveau ministre français de l’économie, a été rencontrer son homologue Wolfgang Schäuble afin de mettre en musique les images de la bande-annonce de Berlin. Grande hardiesse, un groupe de travail franco-allemand a été créé, à l’agenda duquel il a énuméré tout ce qu’il voudrait y voir figurer. On verra ce qu’il en restera. Les deux ministres ont dans l’immédiat convenu qu’une coordination et une intégration accrues des politiques économiques sont nécessaires, ils nous surprendront toujours…

De son côté, la Commission se prépare à franchir un pas pour aller au-delà de la « flexibilité » dont elle a épuisé avec l’Italie toutes les finesses. C’est à nouveau au Frankfurter Allgemeine Zeitung que l’on doit une fuite décrivant le contenu du papier qu’elle doit publier dans une dizaine de jours. Sa contribution au débat sur le futur de la zone euro – qui a été devancée par celle d’un gouvernement espagnol mettant les pieds dans le plat – comprendrait en premier lieu une surprise : la date de 2025 est avancée pour que tous les pays de l’Union adoptent l’euro. Sans s’appesantir sur ce qui pourra les convaincre !

Dans son document, la Commission préconiserait d’instaurer un contrôle parlementaire de l’Eurogroupe et l’adoption d’outils financiers communs à la zone euro : un fonds protégeant l’investissement en cas de récession, une capacité fiscale permanente, ainsi qu’un fonds d’assistance contre le chômage. En son sein, l’idée progresserait même chez certains commissaires comme Pierre Moscovici que des euro-obligations pourraient financer non pas l’endettement passé mais de nouvelles dettes.

Le moyen serait ainsi trouvé pour encaisser le choc du tapering (baisse progressive) de la BCE et soulager les budgets du poids d’un endettement destiné sinon à croître avec l’augmentation des taux obligataires. La relance trouverait son levier et le tour serait joué ! La mutualisation de nouvelles dettes, en totalité ou partiellement, serait la récompense de la bonne conduite adoptée en respectant les traités. Et les banques pourraient dénouer le nœud Gordien que représente la détention de la dette souveraine de leur pays. Las ! cette piste a déjà été explorée et n’a pas été retenue. Plutôt qu’une avancée déterminante, on craint d’entendre le chant du cygne de la Commission, son dernier morceau de bravoure.

Sa vision présente en effet un défaut de taille : elle ne recueille l’agrément d’aucun des deux grands partis gouvernementaux allemands. Que va-t-il alors en rester, sinon l’adoption d’artifices aux effets limités pour financer un programme d’investissements réduit qui ne pourra pas contrebalancer les effets récessifs d’une politique fiscale et budgétaire inchangée ?

Le pari du président français est de créer une dynamique bousculant ce scénario, afin de débloquer à terme l’émission d’euro-obligations. En prenant appui dans l’immédiat sur le retour de la confiance et des accords bilatéraux avec l’Allemagne sur les dossiers les plus à portée, comme celui de la défense européenne. Mais les dirigeants politiques allemands n’entendant pas fléchir sur l’essentiel, la dynamique en question risque de se réduire à peu de choses.

Par ailleurs, la formation d’une alliance destinée à accentuer la pression à leur égard ne progresse pas à pas de géant, comme l’a montré la visite à Paris du chef du gouvernement italien, Paolo Gentiloni, qui a rencontré Emmanuel Macron en prologue à la tenue du prochain G7 des 26 et 27 mai prochains. Le premier à plaidé pour « une union fiscale et bancaire » et le second pour « une capacité budgétaire commune », exprimant ainsi des propos dissonants tout en affirmant vouloir œuvrer à la relance. Chacun va à la bataille sous son propre drapeau, c’est aussi le pari du président français qui croit pouvoir ainsi enlever le morceau.

D’autres épisodes menaçant du démantèlement de la zone euro seront nécessaires pour que les lignes puissent véritablement bouger. Les commentateurs sont tous d’accord pour dire que le cap des élections allemandes doit être passé pour que cela évolue, mais ils feraient bien de suivre avec attention les péripéties de la vie politique italienne, où la tournure prise par les évènements continue à être imprévisible. Là est la prochaine échéance.

L’interlude espagnol est en passe de s’achever. Le retour de Pedro Sanchez à la tête du PSOE va relancer le débat politique sur la position à adopter vis à vis du gouvernement Rajoy, maintenu en vie grâce à l’abstention socialiste aux Cortes. Pedro Sanchez est dans une situation rappelant celle de Jeremy Corbyn au Royaume-Uni, fermement soutenu par sa base et combattu par les cadres de son parti, mais là s’arrête la comparaison dans le contexte espagnol, l’aiguillon de Podemos faisant notamment la différence. Dans le contexte de plus en plus tendu d’affirmation du mouvement indépendantiste catalan, des élections législatives dont le PSOE ne voulait pas pourraient vite devenir inéluctables. Seule les retarderait la crainte qu’il en sorte un gouvernement provisoire à Madrid cet automne, au pire moment prévisible de tension.

Sous toutes ses facettes, la crise politique européenne est loin d’être finie.

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