« De l’anthropologie à la guerre civile numérique » – IX. Le logos

Suite de l’entretien du 5 mai 2016 avec Franck Cormerais et Jacques-Athanase Gilbert de la revue Études digitales, en complément de l’entretien intitulé De l’anthropologie à la guerre civile numérique.

IX. Le logos

Études digitales

Le retour au logos est un élément déterminant.

Paul JORION

Parfaitement. Le fait que nous parlions fait partie de notre monde au même titre que les plantes ou les animaux. Le logos est un donné qui présente des propriétés particulières. La confusion habituelle consiste précisément à déplacer le réalisme du logos. Dans Principes des systèmes intelligents (1989), je remarque que la production de phrases qu’est un discours consiste à créer un parcours qui fasse sens au sein du lexique, à savoir l’univers des mots d’une langue, et non à produire une description juste du monde tel qu’il est. Cette position reprend évidemment la perspective qu’Aristote développe dans les Catégories. Il est étonnant que celles-ci soient encore l’objet d’un débat pour savoir si elles décrivent le monde ou le fonctionnement des phrases. Il me semble évidemment qu’il convient de retenir la seconde proposition. Aristote décrit la langue grecque qui dispose d’une dynamique propre, différente de celle de la langue chinoise par exemple. La langue grecque ne peut donc pas « dire le monde », sauf à croire que les Chinois se trompent absolument puisqu’eux utilisent la langue chinoise, et ce bien qu’ils aient fait avant nous, comme je l’ai dit, ces inventions comme le papier, la poudre, le gouvernail et la boussole. Cette position est évidemment intenable. Les Chinois comprenaient parfaitement les choses sans toutefois développer une représentation de la réalité comparable à la nôtre. Ils ne disposaient par exemple d’aucun mot équivalent à « théorie » ou « réalité ».

Études digitales

De même, la notion de monde qui nous permet, non sans une certaine facilité, de traduire le cosmos, n’a certainement pas les mêmes qualités de ce dernier. Il s’agit en effet d’une notion latine qui prend une dimension nouvelle avec le christianisme.

Paul JORION

Les Grecs, tout particulièrement Platon et le néoplatonicien Proclus beaucoup plus tard (412 – 485), avaient une vision parfaitement claire de la distinction qu’il convient d’opérer entre les objets de la pensée et les objets du monde. Et c’est à partir de cette même distinction que Russell pouvait se gausser de Gödel.

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