Retranscription – « La personne remplacée par une machine n’en profite absolument pas », le 13 juillet 2014

Retranscription – VentsContraires.net – Paul Jorion : « La personne remplacée par une machine n’en profite absolument pas », le 13 juillet 2014. Merci à Marianne Oppitz !

Il y a une chose à laquelle on n’a pas pensé. Si on s’imagine dans les années 50 (moi, j’étais gosse dans les années 50) on nous proposait une représentation de l’an 2000. Et en l’an 2000, on serait libéré effectivement de pas mal de travaux par les machines. Nous aurions énormément de loisirs : nous nous occuperions de nos enfants et de nos petits-enfants, nous irions à la pêche, nous nous consacrerions à des activités qui sont des activités de loisir maintenant : des activités très créatives, etc.

Ce que nous n’avions pas pensé, c’est que nous avons un régime de propriété privée qui fait que quand nous remplaçons une personne par une machine, eh bien, la personne qui est remplacée par la machine n’en bénéficie absolument pas. On la remet sur le « marché de l’emploi », comme on dit, et on lui confie la tâche (en essayant de la culpabiliser généralement pour avoir été remplacée par une machine !), nous lui donnons la tâche de retrouver du travail.

Ou bien, nous disons aux entreprises : « Créez du travail ! », ce qui est finalement, je dirais, le complément. Comme si cette question du remplacement par la machine n’avait pas connu ce saut qualitatif des années 70 et des années 80 !

C’est-à-dire qu’en fait, de manière massive, maintenant le travail disparaît parce qu’il est remplacé par la machine. Et nous avons voulu le faire ! C’est quelque chose que nous avons voulu faire, sans penser aux conséquences qui seraient que, dans le régime économique que nous avons, le bénéfice de la machine : le bénéfice qui vient du travail de la machine, il est partagé uniquement en dividendes attribués aux actionnaires des compagnies qui sont propriétaires de ces machines (de ces logiciels et de ces robots) et va alimenter une multiplication par des facteurs qui deviennent de plus en plus invraisemblables, les bonus, les salaires, des dirigeants de ces entreprises. Alors que le savoir de type ordinaire, celui du salarié – soit manuel soit intellectuel – celui-là disparaît purement et simplement.

On peut partager le travail mais ça, c’est mettre entre parenthèses le fait qu’il y a des différences qualitatives entre les types de travaux. Le travail qui serait le plus difficile à remplacer par des robots ou des logiciels, c’est celui qui combine une multitude d’expertises de types différents : qui fait appel à de la créativité, qui demande une part de travail manuel, qui demande une part de travail intellectuel. Là, ça se serait plus compliqué ! Ou alors, je dirais, des tâches de supervision, des tâches de direction parce qu’il faut encore… je prends un exemple : maintenant sur les marchés boursiers, à peu près 50 à 60 % des opérations sont faites par des robots, c’est-à-dire que la session de la bourse se met en marche le matin à 9h jusqu’à 17h quand ça s’arrête. Là, c’est la machine qui est en train de tourner. Alors, ce qu’il faut faire quand même, à 17h, il faut qu’il y ait des gens qui regardent ce qui s’est passé dans la journée. Alors, là, il y a un certain type de savoir.

Mais, quand on nous dit : « Vous savez le travail disparaît, mais il y a un autre travail qui va apparaître », moi, j’avais eu l’expérience : on m’avait demandé ça il n’y a pas tellement longtemps, c’était dans le cadre d’une commission qui était en relation avec ce qui se passe à Bruxelles, dans le cadre européen : « les nouvelles entreprises créatrices d’emploi », bon, « les nouvelles technologies créatrices d’emploi ». En fait, comme vous le savez, les nouvelles technologies, elles ne créent pas d’emploi ! Ce qu’elles créent c’est, par exemple, une entreprise qui va faire du génie biologique : il va y avoir 50 employés, elle va faire des milliards et on va pas se partager l’argent qui a été créé. Ça représente 50 emplois, c’est-à-dire, absolument rien. Et le progrès dans ce domaine là, il va extrêmement vite.

Il y a un bon exemple, c’est celui de la compagnie Apple. La compagnie Apple dit : « On va relocaliser. Nous avions délocalisé une entreprise et nous allons la relocaliser aux États-Unis. » Ce qui se passe, c’est que, au moment où il y a délocalisation, c’est de l’ordre de – le chiffre ne me revient pas – c’est de l’ordre de plusieurs milliers de personnes. L’entreprise est délocalisée en Chine, au Vietnam, etc. Quand ils la relocalisent, ils créent 300 emplois. C’est-à-dire que dans le processus qui a eu lieu entre-temps, il y a eu ce remplacement, cette robotisation, ce remplacement par du logiciel.

C’est Foxconn, c’est une compagnie de Taïwan, qui a entrepris un projet où ils vont faire une usine où il y aura un million de robots. Un million de robots qui seront là et, comme vous le savez, il y a du travail de maintenance, il y a des gens qui doivent écrire du logiciel, etc. mais, c’est un million de robots ! Combien d’emplois humains remplacent-ils ? Peut-être bien davantage, peut-être cinq millions de personnes.

Le travail disparaît, il y a du travail qui se recrée, qui est un travail extrêmement pointu en général : c’est du travail d’ingénieur. On ne peut pas imaginer que tout le monde qui sort de l’école soit ingénieur. De toute manière, il n’y aura pas une demande suffisante. Des gens qui font des logiciels, eh bien il peuvent en faire plusieurs, il y a des mises à jour, des choses comme ça, des perfectionnements mais, ça ne représente pas… les nouveaux emplois créés ne représentent pas grand-chose par rapport à ceux qui disparaissent.

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