Grèce, cadre naturel, par Panagiotis Grigoriou

Billet invité. Aussi disponible sur son site www.greekcrisis.fr

Été brûlant. 45° à l’ombre. À Athènes et dans les villes importantes du pays, les déchets n’avaient été que partiellement collectés. Le “gouvernement” avait laissé entendre qu’il réquisitionnerait les agents (contractuels) et qu’il impliquerait aussi l’armée… dans cette bataille. Ailleurs, les initiatives privées et locales ont entretemps partiellement résolu le problème. Et pour le reste, en Golfe Argosaronique par exemple, le pays revêt ses (faux) habits d’été pour préserver son image présumée idyllique, surtout… devant son tourisme. Le cadre naturel y est certainement… sans la société. Été ainsi brûlant.

Été grec, Golfe Argosaronique, juin 2017

En Golfe Argosaronique (Golfe d’Athènes) où les ordures ont été généralement ramassées, les grandes flottilles estivales apparaissent déjà dans les ports comme dans les baies. Fait nouveau, les premiers Chinois, clients à bord des voiliers (et parfois skippers) attirent comme il se doit tous les regards. Inassouvis on dirait de la nouveauté technologique (à l’instar manifestement des autres terriens), ils passeront près d’une heure à tirer de leurs selfies. Il semblerait toutefois que le selfie cristallise particulièrement le mal-être en ce siècle inédit.

Au bistrot du port, le propriétaire de l’établissement observait les Chinois, à la fois impuissant et… radicalement stupéfait. Ils ont apporté de leurs voiliers, bouteilles de champagne et autres alcools à consommer… sur place au bistrot, après avoir toutefois commandé trois salades ! Sans doute parce que “La pratique est le seul critère pour tester la vérité”, d’après ce slogan (chinois) de 1978 annonçant la fin de la révolution culturelle, le bistrotier de l’Argosaronique devait s’y connaitre peut-être un peu.

Les plages finiront bien par être fréquentées, certains habitants et habitantes du pays iront pêcher tous les jours à la ligne faute de mieux, et l’été, la grande saison grecque, ira alors battre son plein comme d’habitude. Sous les 45° à l’ombre, et ce blog subira autant lors de sa composition, tout l’éblouissement de cette lumière et alors touffeur qui absorbent ainsi tout. Rien de bien nouveau pourtant.

Les selfies. Golfe Argosaronique, juin 2017
Les selfies ! Golfe Argosaronique, juin 2017
Les voiliers. Golfe Argosaronique, juin 2017

La presse aura entre-temps largement épilogué au sujet de cette grève des contractuels à la collecte des déchets. Ces derniers auront manifesté une dernière fois dans Athènes jeudi 29 juin, puis, la grève… intenable, a pris officiellement fin au soir du même jour (quotidien “Kathimeriní”) . Grève il faut dire déjà intenable car largement impopulaire, la société grecque se disloque et ainsi ses vues particulières alors dominent.

Il faut préciser que depuis tant de décennies, “l’entrée” comme on dit des contractuels dans les services municipaux (essentiellement à la collecte des déchets), avait constitué l’antichambre conduisant tout droit à l’embauche définitive. Les clientélismes politiques (Nouvelle Démocratie, PASOK et récemment SYRIZA) auront (presque) tout fait pour maintenir… la situation. Sauf que par ce “temps de crise” (en réalité sous le nouveau régime), et, au moment où une bonne moitié des employés du privé restent et demeureront durablement au chômage et que plus d’un demi million de jeunes Grecs ont émigré, les contractuels… des déchets n’ont guère la côte.

Particularismes, particularités dans leur gloire, face notamment à la puissance (sociale) collective… désamorcée. Et les “gérants”, géreront les affaires de “notre gouvernance” à leur seule et unique guise. Tout ne passe pourtant pas inaperçu, en dépit de la lassitude des âmes grecques. Ces derniers jours, une partie de la presse s’est tout de même sentie obligée de réagir face à l’annonce du montant du salaire annuel (270.000€) dont bénéfice Ourania Aikateriniari, PDG de la “Treuhand-II” “à la grecque”. Agence comme on sait fiduciaire ayant comme mission de brader les biens publics du pays, au profit des néo-colonisateurs appelés parfois “créanciers” (ou assimilés) dans la novlangue dominante (hebdomadaire “To Pontíki” du 29 juin) .

Pour la petite histoire, la PDG… exécutante, a déjà besogné (et certainement appris) auprès de la BNP Paribas, de l’Eurobank, de Deutsche Bank, de DEI (vice-PDG Régie d’Électricité en Grèce, entre 2010 et 2015, qu’elle privatisera d’ailleurs, d’après les prérogatives liées à son nouveau poste), elle a enfin aussi œuvré chez Ernst & Young . Été grec, alors baignades !

Contractuels manifestants. Athènes, le 29 juin 2017 (presse grecque)
Tsipras… roi des déchets. “Kathimeriní” du 29 juin 2017
Femme qui pêche. Golfe Argosaronique, juin 2017
Plage. Golfe Argosaronique, juin 2017

Dans les cafés, les anciens se racontent de leurs histoires forcement du passé, histoires personnelles présumées privées mais qui ne le sont pas en réalité. Ils évoqueront par exemple l’épopée de Georges l’Américain, l’homme était revenu au village vers 1970 des États-Unis où il avait émigré dans les années 1940. Il avait ramené une voiture très américaine, puis il s’est marié, retraité déjà “mais retraité du temps ancien, donc véritable retraité, et non pas comme aujourd’hui”.

Aux dires des vieillards, Georges aurait incontestablement bien vécu. Il aimait les fêtes, il dépensait sans trop compter dans les tavernes, il invitait facilement à boire et enfin, il a trouvé une femme-épouse du coin, évidemment beaucoup plus jeune que lui. Sauf que le lustre même de l’Amérique n’est guère eternel, et que Georges l’Américain n’est plus de ce monde depuis les années 1990, son épouse, toujours plus jeune que lui, elle vient de disparaître (sauf pour la mémoire locale) il y a seulement quelques années.

Et à l’image de l’Agora des vieillards comme des cafés, les medias grecs (dont largement internet), véhiculent cette nostalgie du passé supposé “entier”, à travers toute une myriade de documents, vidéos, textes et surtout photographies, issus de cette “autre Grèce disparue à jamais”.

La Grèce des années 1950-1960 (Internet grec, d’après les photos d’un visiteur Allemand)
La Grèce des années 1950-1960 (Internet grec, d’après les photos d’un visiteur Allemand)
Athènes, Agora Romaine, juin 2017

Ainsi, dans ce café du Péloponnèse, il a été aussi question entre vieillards, de la Guerre Civile (1944-1949), comme plus généralement de notre plus terrible décennie grecque, celle de la guerre (1940-1949). Dimítris, s’est mis alors à raconter: “J’y étais moi, dans les forces spéciales, nous avons combattu les communistes, et alors ? Depuis, je boite, blessé depuis à mon pied gauche, je traîne la patte, comme notre pays qui traîne alors sa patte depuis ces années-là. Les politiciens ; tous des traîtres, les Karamanlis comme tous les autres, seulement Papadópoulos avait tenté quelque chose mais il a été renversé par les Américains en 1973.”

Personne n’a voulu contredire, ouvertement en tout cas, cette thèse de Dimítris à propos de Papadópoulos, chef de la Junte des Colonels (1967-1974), effectivement “remplacé” par les Américains en novembre 1973, mettant à sa place Ioannídis, lequel leur était plus docile. Anéstis, le bistrotier, visiblement gêné, a coupé court à ce monologue pro-Papadópoulos: “Arrêtez les gars avec ces histoires. Je vais mettre de la musique”.

Et aussitôt, le… bruitage habituel repartit, puisant dans la playliste-déchetterie omniprésente il faut dire, grecque et internationale, d’une radio forcement privée. D’une dictature… à l’autre !

Athènes, sous l’ombre. Agora ancienne, juin 2017
Dans Athènes, sous-location, quartier de la Pláka. Juin 2017
Quartier de la Pláka, tôt le matin. Juin 2017

Dans Athènes, les touristes déambulent lorsque nos animaux adespotes iront trouver de l’ombre du côté des vielles pierres, sous les arbres de l’Agora. Été brûlant. 45° à l’ombre. Dans les quartiers de la capitale comme dans les villes importantes du pays, les déchets finiront par être collectés car les camions benne à ordures ménagères circulent de nouveau.

La colonie se porte alors si bien, la dite “Haute Cour de Justice”, dans sa délibération du 29 juin, elle vient d’annuler la procédure pénale visant neuf membres du TAIPED (“Treuhand” – I, structure imposée par les colonisateurs Troïkans en 2011), voilà pour la dernière des nouvelles (quotidien “Kathimeriní” du 30 juin) .

Parmi ces neufs… technocrates, explicitement accusés pour détournements de fonds et pour avoir fait perdre à l’État grec près de 580 millions d’euros suite à la vente de 28 biens immobiliers (publics appartenant à divers ministères), trois, sont les ressortissants des pays de l’Eurocontrol (un Espagnol, un Italien et un Slovène). Ainsi, suite au récent Eurogroupe ; ces pays, dont d’bord l’Espagne, ont menacé de bloquer l’attribution de la tranche (nommée “dose” pour la presse grecque) de près de huit milliards d’euros, destinés à la Grèce… et servant quasi-exclusivement, à réintégrer les caisses des dits créanciers (le remboursement eternel !).

La procédure visant donc ces neuf technocrates à la tête du TAIPED date de juillet 2015, et elle a été initiée et instruite par deux Procureurs luttant contre la corruption, Ioánna Sévi et Angelikí Triantafillou, ayant donné également suite à la plainte déposée par un bon nombre d’avocats inscrits au barreau du Pirée (médias grecs du 20 juillet 2015) .

Le Président de la Bulgarie visitant le musée de l’Acropole. Athènes, juin 2017
Athènes, juin 2017
Affiche: 100 ans depuis la Révolution de 1917 et le livre de Victor Serge. Athènes, juin 2017

Notons que le quotidien “Kathimeriní” daté du 30 juin, classe son reportage relatif à cette décision scandaleuse de la “Haute Cour de Justice” au sujet du TAIPED, dans sa rubrique “Économie”, et non pas “Politique”, ni même “Justice”. Preuve, s’il en est besoin, que l’économisme actuel fait bel et bien la force principale de ce totalitarisme métadémocratique galopant qui est le nôtre, en Grèce, comme hélas ailleurs.

Les pantins et autant escrocs du “gouvernement Tsipras” souriront ainsi encore devant les cameras, comme ils se contenteront à faire visiter le nouveau musée de l’Acropole au président de la Bulgarie voisine. Voitures blindées, officiels escortés, le tout, sous le regard innocent des touristes qui n’auront rien compris, ni même voulu saisir des évidences du pays réel tant visité, ni peut-être finalement de leur propre pays.

Été brûlant. 45° à l’ombre. Dans Athènes et dans le quartier de la Pláka on y découvre les nouvelles annonces pour ces sous-locations d’époque, au moment où l’uberisation Airbnbienne a déjà bouleversé les… “données structurelles” d’une économie déjà fort estropiée depuis… l’avènement de la Troïka (pour ne pas dire depuis la mise en place de la zone Euro).

Caïque de pêche ayant quitté son port. Péloponnèse, juin 2017

Ailleurs, les caïques quitteront encore leurs ports pour pêcher, au moment où les premiers Chinois, clients à bord des voiliers, tireront de leurs selfies.

Été grec, alors baignades ! À l’heure de la sieste, le bistrotier aura enfin coupé sa… musique comme il se doit. Surtout de l’eau, comme de l’amour pour nos animaux adespotes. Grèce… cadre naturel !

De l’eau et de l’amour. Péloponnèse, juin 2017
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* Photo de couverture: Réalités, Péloponnèse, juin 2017
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