Un régulateur, Une banque, Une VaR et une seule (II) Le mythe bien utile des marchés efficients, par Bruno Iksil

Billet invité. Bruno Iksil est l’auteur ici de « Bruno Iksil, surnommé « La baleine de Londres », nous dit ce qui s’est vraiment passé ». Il nous offre ici un nouveau feuilleton sur le contexte de ces événements.

Le mythe bien utile des marchés efficients…

Les descriptions qui suivent cherchent à montrer aussi simplement que possible, le lien stratégique entre les normes en vigueur sur les marchés aujourd’hui, dont le suivi de la VaR en particulier, et l’Histoire. Ces normes, telles que le ‘Mark to Market’ ou la VaR, sont liées en effet à plusieurs événements majeurs qui ont marqué nos vies à tous durant les 50 dernières années. Il faut bien comprendre la genèse même de la VaR avant de voir enfin les événements propres à la ‘Baleine de Londres’ tel qu’ils se sont développés.

Année 1900, la population mondiale compte environ 1.7 milliards d’individus. Le groupe du G7 (USA, Royaume-Uni, Japon, Allemagne, France, Italie, Canada) représente 22% de cette population. Quelque part à la fin des années 1960, après deux conflits mondiaux et la Guerre froide, la population mondiale a cru à près de 4 milliards de personnes et le G7 n’en représente que 14%. Les atrocités de la guerre du Vietnam annoncent la fin des conflits ouverts ou larvés de grande ampleur. Les “euro-dollars” se répandent à travers le monde entier dans le souci de promouvoir le commerce international. Les économistes voient bien l’origine de cette toute nouvelle monnaie d’échange mais pas toutes ses conséquences. Les dollars US servent de monnaie d’échange au quotidien sur la base de crédits que les USA accordent de façon routinière aux pays exportateurs de pétrole en échange de ce qu’on appelle « l’or noir ». Ces dollars là ne sont pas faits pour être dépensés sur le sol américain. Et pourtant ils servent à tous les autres pays du monde ou presque. Les marchés financiers sur l’euro-dollar montrent une efficience jusque là insoupçonnée. Est-ce l’avènement d’un nouvel empire ou la dilution de la notion même de souveraineté ? Henry Kissinger parmi d’autres ouvre la voie vers une paix raisonnée.

Des économistes de renom reprennent alors des calculs visionnaires de Louis Bachelier (1870-1946) et les mettent au goût du jour pour produire un modèle en 1973 de calcul des risques financiers qui reste de nos jours la pierre angulaire de tous les systèmes de suivi de risques de marché actuels. Ce modèle sert également de clef de voute à toutes les normes prudentielles destinées à la constitution des réserves bancaires en liquidité comme en capital. Ainsi Paul Samuelson, Robert Merton, Fischer Black et Myron Scholes contribuent à doter l’industrie financière d’une approche mathématisée des risques financiers qui deviendra proprement révolutionnaire.

Sur quoi cette approche repose-t-elle ? Une hypothèse et une seule la soutient avec une conséquence de poids en corollaire. L’hypothèse ? Un intervenant de marché suffisamment bien informé et rationnel peut couvrir son exposition à une crise jusqu’au tout dernier moment, en principe. Pourquoi cela ? Parce que toute déviation de prix, aussi massive soit-elle, se développera par petit sauts au cours desquels un acteur de marché trouvera le moyen de se protéger si besoin est. C’est un principe, pas une obligation dans le modèle. Bien sûr les esprits aventureux peuvent tout à fait parier et oublier le danger. Quant à ceux qui cherchent la sécurité avant tout, ils seront prêts à faire des sacrifices pour préserver leurs acquis. À tout moment donc, un choix leur est proposé par les marchés financiers dans leur ensemble. De là naîtrait un équilibre, entre peur et cupidité, par lequel se dessine un « taux sans risque » qui est obtenu in fine par celui qui ne cherche pas à s’exposer aux crises. La ‘main invisible’ suggérée par Adam Smith semble transfigurée en cette fin de 20ème siècle prenant la forme d’un rendement presque palpable, justifié par des calculs aux allures très scientifiques. Ce taux miraculeusement n’est pas nul ou négatif. Il semble très, très proche du rendement fourni par les titres du Trésor américain selon les données disponibles à l’époque.

On peut ainsi résumer l’hypothèse dite des « marchés efficients » : une crise est toujours gérable par avance ou, selon une version plus commercialisable : les marchés offrent un rendement sans risque aux investisseurs peu aventureux mais persévérants. Tel est le crédo qui s’instaure en 1973. Encore faut il le mettre en pratique ce credo… Car, l’histoire amènera son cortège de désaveux. En mai 1971, le président Nixon déjà montrait que l’imprévu était de tout temps au rendez-vous. Le dollar désormais n’était plus convertible en or à coup sûr, mais il restait convertible en dollar bien sûr. Certains auraient pu deviner le changement car le sujet était déjà largement débattu avant mai 1971. Mais cela restait de la spéculation car personne d’autre que le président des USA Richard Nixon n’était en mesure de savoir QUAND ou COMMENT cela se produirait. D’ailleurs à quelle échéance était-il lui-même maître des événements de son temps ? Dans un cas comme dans l’autre, changement ou pas, la ‘protection’ ou l’exposition face à ce type d’événement n’était qu’une spéculation.

(à suivre…)

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